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Vers les sept heures moins dix

Vous avez sa carte vitale Mademoiselle ? Oui, oui, j’ai sa carte vitale, j’ai aussi de ses empreintes sur mes bras et de sa danse dans mes pieds, j’ai encore de son goût dans ma bouche, j’ai tout plein de choses, tiens, tenez.

J’aurais tout donné à l’infirmière, des papiers, de l’argent, un peu de tabac. C’est tout ce que j’ai, Madame.

J’ai des sous-vêtements sales et de la peur au fond du bide. J’ai les mains vides et le cri facile. Alors dites-moi où vous l’emmenez.

Et à quelle heure s’est-il piqué pour la dernière fois, Mademoiselle ? Je ne sais plus. Il y a une heure ou deux peut-être. C’était avant le troisième bar, ou le quatrième. Il était en hyperglycémie, il s’est piqué tout de suite.

Je me sentais comme derrière un miroir sans tain. La pose parfaite, les mains jointes. Oui, on a beaucoup bu. Je ne sais pas. Dix verres. Douze verres. Un peu de tout. Vers vingt heures. Dans le premier arrondissement. Environ deux paquets de cigarettes. Non pas de drogue, ce n’est pas notre genre. Il est infidèle. Oui, il a quelqu’un. Moi ? Une distraction ou un futur, qu’en sais-je. Ah, vous vous en fichez. Il est diabétique insulinodépendant. Les pompiers ? Vers une heure du matin. Oui, avec son téléphone. Si, j’ai un téléphone. Mais il voulait les appeler lui-même.

Mon songe s’en est allé. J’étais prostrée là. Comme une flaque, un déchet. Une veuve qui pleure son homme. J’observais cette grande horloge accrochée. Elle était pire que blanche, elle puait la mort, le désinfectant. Comme tout ici, elle était triste à mourir et bien propre sur elle.

Je voulais allumer une cigarette, errer sur le parking, errer jusqu’à la prochaine adresse. Frapper, bonjour c’est moi, mon amant est à l’hôpital. Si vous saviez. Il est brun, il est fou. Il est l’excès, mon portrait, ma drogue et mes clopes consumées par deux.

On vit dans le flou, on n’a pas de plan. On ne croise jamais de comètes, juste nos doigts dans le dos quand on ose parler de notre présent en flippe d’un lendemain.

Qu’avais-je à faire ? Demander du feu, demander des nouvelles, demander l’impossible ? Je n’avais qu’à bouffer mes ongles ou bien aller cracher mes derniers verres. J’ai choisi la porte de sortie.

J’ai balayé le parking de mes talons. Je ne ressemblais à rien. Je portais des cigarettes à ma bouche dans un geste presque vulgaire, tellement fait et refait, juste pour occuper une partie de mon temps et chercher deux trois réponses dans une fumée plus très fière de moi. Les camions de pompiers venaient et sortaient. Cette sensation folle de faire du fesses à fesses avec la mort. Bonjour, je me promène dans tes lieux, je suis de passage. D’ailleurs, t’as couché avec l’horloge de la salle d’attente toi, c’est pas possible. Tu sens le gravier des cimetières, le tabac froid, la fin de journée.

Je trébuchais sur mon angoisse la plus intime. Qu’étaient-ils en train de lui faire, à mon presque homme ? On devait lui presser la chair, l’oppresser de questions. Peut-être qu’il dormait. Pensait à moi ou ne pensait pas.

Je suis rentrée. J’ai harcelé la secrétaire médicale à coup de questions avec pour seule arme un mégot. Elle n’avait rien à m’apprendre. Juste une proposition à me faire. Attendre. Là-bas. S’il-vous-plaît.

Froid, le banc. Mes cuisses frissonnaient, mes lèvres se gerçaient. Je les mordais d’angoisse et pour ce goût de rhum qui me tenait encore. Cette grève d’alcool que je n’opère jamais.

Et pourtant Dieu sait que je suis une fille bien. Je suis ponctuelle, je suis droite, je compte mes sous et sur personne. Je vais à l’église, j’allume des cierges et je murmure ce que mes larmes veulent bien avouer. Je suis plus faible que forte, je m’écroule souvent sur mon parquet et je rêve d’un monde avec des horloges en couleurs.

Il ne faut pas m’en vouloir, je n’ai pas su le freiner. Je vous promets que je suis capable de le chérir, de stopper ses levers de coude et de l’emmener voir la neige. Alors injectez-lui tout ce que vous voulez. Faites-lui avaler le monde, des promesses et des médicaments. Rendez-le moi.

J’ai trop besoin de lui, moi. Qui va m’enlever mes chaussures ce soir et me dire à l’oreille que notre histoire est si déconcertante. Qu’il ose penser à la fuite, quand j’essaie de penser à la suite. Avec qui vais-je vivre tous ces hauts, ces bas, et faire de l’indécision une habitude.

Allongée, je serrais mon sac comme une vieille peluche, osant lui réclamer une petite lune et un maigre réconfort. Je me suis endormie.

Sur les coups de sept heures moins dix, j’ai senti une main sur mon épaule. Une petite secousse. J’ai levé les yeux, il était là. J’ai répondu à son sourire et c’est là que tout a commencé.

Son visage était fou. Il m’a dit on peut y aller. Tout va mieux. Alors je l’ai suivi. La porte, le parking. La Seine qui se levait. Je l’écoutais me raconter ses heures d’absence. Me dire t’étais si mignonne à dormir sur le banc de la salle d’attente. Il devait être si froid.

Oui, il l’était. Mais tu sais je m’en fous. Et puis je m’en fous aussi de ta mauvaise santé, de ta mauvaise haleine, de ton trop plein de tabac. Je m’en fous que ton corps soit mal en point et que tes organes soient rongés. Je la rongerai ta maladie moi. Je sucrerai dix fois trop mes cafés et je resterai près de toi des heures durant. J’accepterai les peurs, les malaises, les pompiers, les piqûres, la vieillesse. On va cavaler, mon homme. On aura de la gueule.

On a marché, avec ou sans comète dans le ciel, avec ou sans sucre dans le sang. Le silence se faisait, l’amour aussi. Il y a des verres d’alcool qui vous portent bonheur et des nuits insensées qui vous changent toute une vie. Alors on a pensé à ne plus jamais se quitter.

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