Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

La liste de ses souvenirs

Elle cherche du réconfort et s’assied dans mon canapé large pour trois. Ses yeux tremblent, elle tente de retenir ses larmes. C’est vrai, elle n’a jamais pleuré devant moi. Nous avons vécu deux ans sur le même palier, nous avons partagé des milliers de soirées et de nous deux, j’étais la brimbalante.

Trois ans plus tard, j’ai presque envie de pleurer devant elle pour l’inviter à le faire. Lui montrer qu’on peut tous le faire, que c’est peut-être utile. Elle me fixe, elle cherche l’autorisation de déverser son chagrin, j’ouvre une bouteille de rouge, elle prend ça pour un oui.

Ses larmes coulent, dans son verre et sur son jean, elle parle d’amour, sans poésie, sans rien, parce qu’il n’en reste plus rien, sa nana est partie, elle ne sait pas trop pourquoi, ça n’a pas de sens, elle aimerait que ça en ait, pour guérir vite et pour guérir mieux. Une explication plutôt claire pour un coup de couteau plutôt net.

Elle pense à ce jour où ça ira mieux et où elle aura peut-être tout oublié. Je la rassure, un jour on oublie tout, le digicode, l’adresse, la date de son anniversaire.

– Elle est née un 11 septembre, je ne suis pas sûre d’oublier.
Elle rigole un peu, récite l’adresse et pense au digicode.

A4332. Je le connais d’hier soir encore. Mais un jour, il m’échappera. Je me promènerai un matin et je réaliserai que je n’ai pas pensé à elle depuis cinq jours. Je me dirai que ça va mieux, je respirerai à nouveau. Comme quand on sort d’un rhume, tu sais ?

J’oublierai le jour de notre rencontre, la lumière dans le bar, le serveur tatoué, j’oublierai le trottoir sur lequel on s’est embrassées, le panneau jardin du Luxembourg à deux pas, l’heure qu’il était, le changement d’heure pour l’heure à venir, le rendez-vous chez elle trois jours plus tard, la moquette rose de son appartement, ses amis, les verres d’alcool partagés avec eux, la sensation d’être au bon endroit au bon moment, l’envie de rentrer avec elle et de ne plus jamais rentrer seule, les taxis pris en pleines nuits, Nostalgie écouté à fond en rentrant chez elle, Guichard certains soirs, Sanson pour d’autres souvenirs, j’oublierai son parfum, son odeur dans la chambre et le salon, son rire un peu fort qu’elle dissimulait dans son écharpe, sa façon de conduire aussi, quand elle s’énervait au volant, j’oublierai le week-end à Oléron, sa valise orange, ses habitudes le matin, son café, ses trois sucres, sa grimace malgré tout.

Mais comment je peux oublier tout ce que je veux oublier si je continue de faire des listes ? me demande-t-elle.

J’hausse les épaules.

Je souris. Elle est sur la bonne voie.

Je crois que la plupart du temps, les gens listent tout ce qu’ils n’oublieront jamais.

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