Ton silence

Tu ne me réponds plus. Je veux dire, plus du tout. Je ne comprends rien, je regarde mon téléphone, lui qui s’agitait tant sous tes nouvelles et se crève désormais.

Je ne comprends rien, je te le redis, parce que je ne comprends rien. Au début, on s’écrivait tout le temps. Je savais tout. La sauce de tes pâtes, l’heure de ta douche, tes trajets en voiture, les places de parking trouvées miraculeusement. Je savais tout, minute après minute, nos échanges étaient sans fin, même avant nos rendez-vous, surtout après. L’un en face de l’autre, nous étions aussi bavards que dans le virtuel. On se parlait de nos vies et surtout, de celle qu’on comptait mener ensemble. On avait toujours des choses à dire, des films à commenter, des projets à mettre sur pieds. On avait des mots par-dessus tout, des temps de paroles illimités. Tu me faisais des promesses, je les trouvais parfois prématurées, on ne décroche aucune Lune en deux semaines mais je m’en fichais. Tes promesses sonnaient juste, si juste que la Lune se rapprochait.

Et depuis vingt-quatre heures, plus rien. Tu ne réponds plus. Silence. Trois semaines qu’on se connaît, comment peux-tu te taire à l’aube d’une histoire dont on a tant parlé ? Je ne comprends pas, je ne comprends rien.

Alors j’essaie, pourtant, de te chercher des circonstances atténuantes. Tu ne captes pas chez tes parents. Tu as fait la fête, tu as trop bu, tu erres sur ton parquet, tu ignores l’heure qu’il est. Peut-être que tu bosses trop, prend de l’avance sur ton lundi. Peut-être que tu as perdu ton chargeur de portable, peut-être qu’un pote te l’a pris par mégarde. Peut-être qu’on t’a coupé les doigts. Attends, on t’a peut-être coupé les doigts. Tu vois, je fais des efforts, je ne t’en veux pas.

Peut-être que ton silence ne veut rien dire, j’essaie de ne pas m’inquiéter. Peut-être qu’il existe de silences positifs, après tout. Des silences doux comme l’oreiller qu’on partage au début d’une histoire, des silences si fluides qu’ils font partie d’un tout, d’un bavardage. Des silences acceptables, qui ne sont pas des trous, des doutes, des remises en questions. Voilà, peut-être qu’il existe des silences qui n’ont rien à cacher, alors qu’est-ce que je cherche à la fin ?

Je continue de me rassurer. Ton silence est peut-être normal. Tu m’écrivais beaucoup et maintenant tu fermes ta gueule. Cela arrive peut-être à des gens très bien. La bouche sèche, une envie de souffler pour mieux l’ouvrir à nouveau. Tu vois, je te défends, je ne te dispute pas. Tu trouves que cette lettre est méchante ? Que je t’accuse, te questionne à tort ? Mais non, regarde.

Regarde comme je suis calme, comme tout est tranquille autour de moi. Ce silence est apaisant, putain ce que ce silence est apaisant. J’adore le silence, tu vois. J’adore quand tu te tais et ne me donne pas de nouvelles. C’est génial de ne pas me répondre quand je te propose de se voir. Tu t’en fous, en fait, de me voir ce soir ? C’est ça, en fait, ton silence ? Tu t’en fous ?

C’est un silence de fuite, un silence de lâche. Un silence qui veut dire « je ne sais pas comment te dire ». Un silence un peu trop loquace, un silence qui cache le pire, car oui alors, les silences cachent forcément quelque chose ? Je ne suis pas tombée de la dernière pluie, je vois bien que ton silence n’a rien de commun, pas après tout ça, notre rencontre et l’élan qu’on prenait.

Je dois faire quoi, alors ? Attendre, encore ? Oui, voilà, je vais attendre. A force de tant de silences masculins qui le sont restés, j’entretiens l’espoir et me répète que depuis vingt-quatre heures, tu parles juste un peu moins fort. J’essaie de tomber de la dernière pluie pour croire encore un peu. Et je me remue debout dans mon appart, comme qui sort d’un nuage et débarque dans un monde un peu rose où chacun est candide.

Je me protège et ne veux plus regarder les silences en face. Tu sais, ils ont beau ne faire aucun bruit, les silences poignardent à chaque fois. Ils sont pernicieux. Des saloperies de silence qui rythment mes histoires d’amour et m’obligent à chaque fois à mettre un point final là où l’autre n’ose pas le prononcer. Alors ne m’en veux pas, ce soir, je suis encore un peu contre toi. Ton silence me câline, c’est mieux que le coup de couteau que je vais finir par me prendre.

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