Trois fois en deux heures

Elle se fait belle. Depuis qu’il est parti, début juin. Elle se maquille chaque matin pour de grands cils et marche la tête droite. Elle espère le croiser. Elle voudrait qu’il voie comme elle est jolie, comme ses jambes ont fondu, comme ses cernes ont disparu. Elle voudrait qu’il regrette, qu’il l’aperçoive et que son cœur en tombe, que le passé lui revienne et qu’un futur l’inspire.

Parfois, elle voudrait qu’il la croise aux bras d’un autre. Alors quand elle est avec un copain pas trop moche, elle marche tout près, un peu collée, un peu serrée, parce qu’ils vont peut-être tomber sur Pierre, rue Princesse. Il venait souvent avant. Il pourrait venir ce soir. Il pourrait la voir avec un autre, trembler de jalousie, revenir à elle.

Elle l’a recroisée, une fois, à une soirée chez des amis en commun. Elle était très jolie, elle avait une jupe noire et des collants mêmes pas filés. Elle lui a souri, pour qu’il remarque son détartrage, mais n’en a pas trop fait, pour rester mystérieuse. Elle dansait, elle faisait semblant d’être absorbée par la musique mais en réalité, elle essayait simplement de sentir le regard de Pierre sur ses hanches. Trois fois en deux heures.

En septembre, elle a mis des photos sur Facebook. Elle rentrait de Grèce, elle avait de beaux clichés. Une amie lui avait confirmé que son plus beau profil était le gauche. Elle a choisi les photos minutieusement, elle n’a pas voulu les retoucher. Pas de triche, Pierre la connait bien. Sur les cinq postés, il en a liké une. Elle était heureuse, elle en a parlé toute la journée. Elle était en bonne voie, ses petits plans marchaient. Après, elle a disparu de Facebook six jours en espérant qu’il s’inquiète.

Depuis un mois, elle continue de lisser ses cheveux. De faire du sport. Elle tient bon. Bientôt six mois. Il va revenir, c’est certain. Elle se retient parfois de l’appeler, elle invite leurs amis communs à parler d’elle « toujours en bien s’il-vous-plaît » mais « pas trop pour qu’il se demande ce que je deviens ».

Et puis ce soir, elle va boire, ce soir c’est la Saint Sylvestre, elle va danser, elle va y penser, elle va espérer qu’en 2016 Pierre revienne, elle va applaudir ses propres stratagèmes, elle va demander à ses amis de la prendre en photo, elle va espérer intimement que les clichés soient partagés sur tous les réseaux sociaux de la Terre, elle va espérer que Pierre tombe dessus, pense à elle et fasse son grand retour, elle va surveiller son maquillage à chaque fois qu’elle va aller aux toilettes, elle va se dire je continue, je continue, ça va marcher, fuir, disparaître, intriguer, lui manquer, et puis elle boira un verre de trop, et puis deux verres de trop. Et puis elle lui enverra un texto complètement bourrée.

Un commentaire Ajoutez les votres

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *