Depuis Montmartre, nous regardons Paris. On se connaît depuis quelques heures, j’ai l’impression qu’on se connaît depuis quelques vies.
Tu devais me ramener chez moi vers trois heures du matin. Finalement, nous sommes toujours assis ici, devant le jour qui se lève. Il fait un peu gris, je l’aime ce gris, autant que le vert de ton tee-shirt contre lequel je me réfugie.
Tu me proposes un café, parce qu’on est déjà dimanche matin. Je te réponds que si on les commande aussi serrés que le sont nos cœurs, on risque bien de faire la grimace. Alors tu tords ton visage dans tous les sens et m’embrasse dans un fou rire.
On descend les marches pour retrouver la ville et nos gobelets à la main quelques minutes plus tard, on se retrouve devant le petit portail d’un jardin qui semble tenu secret.
Puisque tout le monde dort et puisque nous sommes bien vivants, puisque les règles valent pour ceux qui ne prennent pas le temps de s’aimer, nous passons par-dessus le petit muret.
J’ai le cul à moitié sur une chaise, à moitié dans le vide. Je me demande si c’est ici que notre histoire prendra tout son élan, si c’était ici que nous ferons mille apéros et mille projets. Un lieu de promesses, un lieu qui recentre, depuis lequel nous sommes seuls au monde mais où nous parlons peut-être un jour de devenir trois.
Je n’ai jamais ressenti ça mais ai-je le droit de te le dire. Ton visage m’est familier, je connais tes mots avant même que tu ne les lâches, j’anticipe tes sourires, tes doigts qui dégagent les cheveux de mon front. Je connais déjà notre futur appartement, le canapé dans lequel on se racontera nos journées.
Je ne suis pas folle ou si peu. Je suis amoureuse et déjà. Tu ne le sais pas encore, ou bien tu le devines, mais ma vie manque de rose depuis des mois. Depuis des mois, je me bats, pour trouver un boulot correct qui me donnerait envie de me lever le matin, pour changer de logement, sans cafards et sans squatteurs l’étage en-dessous, pour aider mon père à supporter la maladie. Non vraiment, ça fait des mois que je rame. Des mois que les jours se suivent et ne me donnent plus aucun plaisir. J’ai le droit de te dire que tu es un de mes plus beaux dimanches ?
Tu me regardes avec de grands yeux. Toi aussi tu découvres quelque chose ce matin. Tu ne sais pas trop quoi. Quelque chose qui varie entre l’amour et la passion, la joie de rencontrer quelqu’un et celle de déjà l’avoir à ses côtés.
Nous sommes si sûrs. Dans ce petit jardin.
Et le froid me traverse. Je me souviendrai longtemps de cette nuit-là, de la chair de poule sur mes bras et du 18ème arrondissement comme début d’une histoire sans fin.
Voilà. Voilà ce que j’ai ressenti quand on s’est rencontré, je n’ai rien inventé, le gris sur les toits, le gris dans le jardin, le gris qu’on aimait bien.
Tu m’écoutes ? Tu m’écoutes quand je te raconte, quand je te refais le film de l’histoire que t’es venu péter en l’espace d’une minute ? Tu me l’as prouvé, sans cesse et à chaque instant, pendant trois mois, que tu la voulais cette histoire. Tu mentirais donc à ce point ? Mais t’es qui, en fait ? Je pensais te connaître moi.
Je pensais vraiment que notre canapé il serait en cuir.
Bref, allez maintenant dégage, ça sert à rien de me demander de me lever là, toi et tes petits copains en uniforme, je ne bougerai pas de là, vous auriez pas une clope sinon, c’est mon jardin, mon petit muret, ma petite maison depuis que t’es parti et que je n’ai plus nulle part où me réfugier. Fermez bien la grille en partant, j’ai un peu froid.
Magnifique as usual. Je ne me lasse jamais. A chaque fois c’est un délice de te lire. A chaque fois je me laisse prendre. A chaque fois je me dis « quel talent »
C’est magnifique Caroline. Tu as le talent de l’instant, tu es surdouée de l’instant