L’herbe verte

Quand je suis chez eux, quand ils sortent ce petit bol avec des cacahuètes, je le regarde, je le regarde et je pense que la vie est plus belle quand on possède ce petit bol.

Ce bol est bleu. Je ne sais pas d’où il vient.

Il est posé sur un plateau, lui-même posé sur une table basse, elle-même posée sur un tapis. J’observe le tout. Plus tard, je veux acheter le petit bol et me demande s’il me faut le même plateau, la même table basse et le même tapis.

En bas des immeubles, quand la nuit tombe, je lève les yeux. Je tombe sur des bouts de salon, des lampes suspendues, une lumière qui donne envie d’être en hiver. Chez les autres, le temps est lent, des bains coulent dans des baignoires très blanches, on met quinze minutes à plonger dans l’eau. Pourtant, elle est toujours bouillante. Le canapé est confortable et une musique de fond accompagne la soirée.

Je ne sais pas quelle est cette musique, je ne la trouverai jamais. Peut-être qu’elle n’existe que dans mes songes, des songes auxquels je n’ai pas bien accès.

Je me dis que ça ne fait pas de doute. L’herbe est plus verte ailleurs.

Je traverse une petite place, la boulangerie et l’épicerie me fascinent. Il me semble que si je vivais là, j’achèterais du pain tous les jours et je presserais des oranges chaque matin. Quelques étages plus haut, cet appartement doit avoir de la moquette. Je veux alors de la moquette et des petits déjeuners royaux.

Ces appartements qui donnent sur rue ont ce qu’il faut de bruit pour être bercés. On doit y trouver la vie paisible et le sommeil dans un coin de la chambre.

Parfois, j’entre chez eux, chez vous, je fais l’exercice de me projeter jusqu’au pire. Je projette le vide et l’ennui, des bains froids et quelques insomnies. J’invente des angoisses et des ventres qui se tordent. Je me projette jusqu’à conclure qu’ici ou ailleurs, avec un petit bol et tout autre objet aux valeurs soi-disant certaines, la vie n’y est pas meilleure.

Alors je rentre chez moi, je tente d’avoir un regard neuf, le regard d’un étranger qui m’envierait. Pendant une heure, je redécouvre un lieu qui a ce qu’il faut de réconfort. Pieds nus, je foule le tapis, je me dis que j’ai choisi le bon et je tends l’oreille vers les sirènes qui relient la Salpêtrière à Cochin.

Je fais attention à chaque détail et cherche celui qui me manque pour apprécier un instant ce que j’ai. Il me faut peut-être une nouvelle bougie, un nouveau parfum d’intérieur. Peut-être les deux en même temps, ainsi que des nouveaux chaussons et un pyjama si doux que ma peau ici trouverait les lieux tendres à souhait.

Parfois, j’achète trois bougies d’un coup et pendant trois semaines, j’apprécie leur présence. Je ne les allume pas pour qu’elles vivent plus longtemps.

Vos bougies sentent souvent très bon, je ne sais pas exactement ce que valent les miennes.

Enfant, je rentrais toujours de chez mes amies aux chambres parfaitement rangées avec l’envie de reproduire la même chose. Je décrochais mes posters et déposais ma chaine hifi au sol pour pouvoir écouter de la musique par terre, en tailleur.

Hier, j’ai passé la journée chez ma soeur. L’ambiance du début de soirée était douce et chaude, presque parfaite.

Je réalise souvent que l’herbe est plus verte d’être inconnue. Pas inaccessible, mais inconnue. Je me dis alors que je n’aime pas connaître. Connaître et tomber dans la familiarité, m’habituer jusqu’à ne plus voir ou sentir. J’aime les premières gouttes du gel douche et taper un code d’immeuble pour la première fois.

Pourtant, j’aime les habitudes, les rituels. Je crois seulement que je leur cherche le meilleur décor. Je veux les renouveler, devant un petit bol bleu ou les bras en l’air, qui fixent aur mur une nouvelle étagère.

Quand nous avons cherché un appartement, je n’avais qu’une exigence, peut-être deux. La baignoire et un quartier tout neuf. Je voulais découvrir un nouveau supermarché, une nouvelle boulangerie, apprendre le nom des rues alentour. Exporter mon quotidien ailleurs, dans un pré plus flamboyant encore.

Connaître son quotidien, l’aimer. Et lui chercher le plus bel hôtel pour séjourner ici. Le chercher chez vous et aux pieds de tous ces immeubles, dans toutes les rues, dans tout Paris, dans tous les rayons de tous les magasins de déco, vouloir embellir ses journées, courir après un mieux, et, au détour de ces projections, se rouler dans l’herbe verte  le temps de quelques minutes, avant que le soleil ne se couche et que les éléments perdent de leur couleur.

 

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