fév
2015
Ne jette rien, surtout pas
J’ai dans une boîte une feuille d’automne, tombée dans je ne sais quelle rue mais sur moi. C’était il y a quatre ou cinq ans, je me promenais, je devais certainement espérer quelque chose de grand et cette feuille qui s’est mêlée à mon écharpe devait être la confirmation qu’espérer n’était pas vain. Je crois même pouvoir dire qu’elle a promis de faire du bon boulot et d’exhausser ma prière.
Je ne sais plus ce qu’elle représente aujourd’hui, à vrai dire le temps passe, les prières sont remplacées par d’autres, mais je n’ai jamais réussi à jeter cette feuille comme si elle m’avait permis d’être là où je suis, comme si elle faisait partie du décor et qu’en retirer des éléments donnait au monde de quoi s’écrouler.
Je garde tout. Les tickets de métro, les tickets de Loto même s’ils sont perdants, juste pour les rêves que j’ai pu faire en cochant six numéros. Je garde des preuves, des vieux téléphones, des vieux bijoux pourtant très laids, des vernis inutilisables, des tasses tachetées qui contiennent trop de matins et de bonnes résolutions.
Je n’aime pas me débarrasser de quoique ce soit, abandonner un objet auquel j’ai tenu ou qui tout simplement a représenté un jour ne serait-ce qu’un trajet, un instant, une envie, une déception. Je conserve, par superstition et par respect, par peur de vieillir et par peur de délaisser tant j’ai peur qu’on me délaisse.
Aujourd’hui, il y a ce sac. Acheté à Londres il y a des années. J’étais seule, l’envie de traverser la manche pour quelques jours, voir l’autre côté, moi qui déteste les autres côtés et privilégie les habitudes. Ce sac, je suis revenue à Paris avec, fière de mon périple et fière de sa petite gueule, bien assortie à mon bras, mon épaule, ma dégaine de fausse baroudeuse.
Ensemble, on a vécu. De grands espoirs, des portes bloquées et d’autres qu’on défonce, de jolies rencontres et de sales adieux. On a partagé ensemble des tas d’instants, je l’ai souvent serré fort, de peur qu’on me l’arrache. Il a parfois dormi au pied de mon lit comme pour m’assurer qu’il était bien là. Et ma carte bleue, et ma carte de transports, et mes carnets, et mes stylos, et toute cette vie qu’on traversait ensemble.
Le temps est passé sur son visage. Il n’a plus de forme, moins de sourire, moins de couleur. J’ai honte de le traîner contre moi. Et j’ai honte d’avoir honte. Il n’a jamais rien dit, lui. Je n’ai pas toujours été la plus belle, la mieux habillée, la plus classe. Et moi aussi, le temps passe sur mon visage.
Abandonné dans un coin, il attend. Je regarde la poubelle sans pouvoir, je regarde le placard sans vouloir. Je ne peux pas laisser celui qui devait rester. Et pourtant, je l’ai remplacé, je le regarde en faisant la maligne, comme pour lui dire que j’ai réussi, tu vois j’ai réussi à faire sans toi, des jours que tu dors ici. Je fais ma maligne mais je fais pitié. Parce que la vérité, c’est que le planquer et le foutre hors de ma vue m’attaque légèrement.
Si je pouvais le raccrocher à une branche ou le ramener à Londres.
Alors voilà, cher sac, tu as trouvé un petit coin sur le parquet, tu ne gênes personne ou peut-être l’aspirateur. Tu iras peut-être au placard mais aujourd’hui, je n’ai pas pu prendre de décision. Te jeter est difficile mais sache-le, c’était si bon que tu sois là ce 10 juin dernier.
caramel
20 février 2015 à 15 h 48 min (1 année ago)J adore.j adore…très joli texte….