Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Dimanche matin

Dimanche matin. Et ça sent déjà les œufs brouillés. Grégory s’active. Il prend les petites bêtes, les casse sur le bord de la poêle, et s’émeut à l’idée de bruncher. Je crois que c’est la seule chose qui lui fait du bien en ce moment.

Mon vagin, bof. Mes sourires, il s’en fiche. Le chat le fait rire, parfois. Mais le chat aussi a perdu de son aura.

Je sais que mon homme déprime alors je remplis des charriots au supermarché avec des boîtes de douze. Je change de marque, je les prends plus gros. Nos week-ends en dépendent. Je ne supporte plus de le voir faire la gueule, d’être présent pour personne. Je me sens délaissée mais plutôt heureuse le coffre rempli. Sur le trajet du retour, je pense à un de ces matins où il viendra alors m’embrasser pour me remercier de ma ponte. Il me pensera alors être une petite femme parfaite, qui a tout compris à son bonheur et le gave de blancs d’œufs pour qu’il retrouve sa joie de vivre.

J’ai même été chercher des œufs frais dans la petite ferme d’en bas et je me suis pétée les genoux dans la descente.

J’ai songé à prendre quelques poules. Deux ou trois feraient l’affaire, en liberté dans notre jardin minuscule. Il faut que j’y mette un peu de verdure et je pense que ça fera du bien à Grégory d’avoir des copines ici, qui picoreraient, se contenteraient de quelques vers et pondraient ensuite. C’est le cadeau que je lui réserve pour son anniversaire. Etre si proche de la chaîne alimentaire et pouvoir cuisiner des œufs bien frais, c’est une arme contre sa dépression.

Dès qu’il les assaisonne, ça donne du goût à sa journée. J’ai fait monter une petite étagère au dessus de la gazinière, pour placer des bocaux d’herbes en tout genre. Et en dessous, je colle le couvercle de vieux pots de confiture et remplis ces derniers de sel, poivre, estragon. Il visse, il dévisse pour se servir. J’ai vu ça à la télé et je suis vraiment contente de lui avoir créé un espace de travail. Chaque matin, il y passe quelques minutes et je vois combien ça le détend.

Quand il a fini, il me dit que c’est prêt. Il attrape sa fourchette et la télécommande et je n’existe plus. Dès qu’il mange, il oublie que c’est grâce à moi. Il oublie que je suis la première investie dans son bien-être. Depuis deux mois, je vois bien qu’il va mal. Mais je ne sais plus quoi faire. Puisqu’il ne m’aime plus. Il me l’a dit, j’avais le chat sur les genoux et les yeux rouges.

Deux ans que je suis sous antihistaminiques mais ça ne va pas me détricoter le chagrin.

On ne parle pas. Il pourrait au moins me dire que les œufs sont bons. Je lui dis bien qu’il a parfaitement dosé le poivre. J’essaie d’être gentille, de le flatter, de lui montrer qu’il fait des choses bien, lui qui se trouve mauvais dans tout.

Il veut changer de travail mais trois mois qu’il ne fait rien pour. Il passe des heures sur son téléphone et moi je défais mes points noirs dans la salle de bain. Quand je reviens j’ai le nez tout rouge mais la lumière est tamisée.

Voilà nos dimanches. C’est souvent le meilleur jour de la semaine. Je m’accroche à ce quotidien. Parfois je me dis que la routine a du bon, elle prouve que nous avons trouvé nos notes et qu’on les joue dans l’harmonie la plus totale. Même quand le silence est roi, la mélodie peut bien se vouloir vivante.

Ce matin, il a mis les pieds dans le plat. Il a levé les yeux après avoir fini son assiette. J’ai trouvé qu’il avait de gros sourcils et qu’il était temps que je passe par-là. Puis j’ai léché le bout de mes doigts pour lui replacer une mèche de cheveux. Il m’a dit que j’étais dégueulasse quand je faisais ça et qu’il fallait qu’on parle. Il avait l’air d’avoir du courage.

Comme il en a rarement.

Je crois que ces œufs étaient vraiment bons. Ils ont fait du bien à mon Grégory, ils l’ont réveillé. Il m’a dit alors qu’il voulait qu’on se sépare. On ne ressemble plus à rien. Voilà ce qu’il a ajouté.

J’ai fait mille tours dans ma tête.
C’était alors ça, son silence, sa déprime.

Je n’ai pas su quoi répondre, évidemment. Nous sommes ensemble depuis huit ans. Je pense qu’il est très fatigué et qu’il part dans un mauvais délire. Il ne voit pas encore tout ce que je fais pour lui. Bientôt, il réalisera et je le garderai. On ne peut pas se quitter avant son anniversaire. Quand il verra les poules dans le jardin, il pensera que je suis merveilleuse.

Je dégaine ma théorie sur la routine et je cours nourrir le chat. Il crie que je n’écoute pas. Pourtant si, j’écoute.

Mais le chat a faim lui aussi.

Je lui dis qu’on en reparlera demain. Il rétorque que je fais l’autruche. Peut-être un peu. Tu vas voir si l’autruche elle ne va pas pondre des œufs, elle. Si elle ne va pas oublier sa pilule ce dimanche soir et tendre son piège. Peut-être que ça te donnera envie de te lever le matin, ça.

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