Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Dix petites culottes

J’ai pris la bonne décision. Je l’avale de travers certains soirs au vin rouge, mais c’est la bonne. Le quitter après quatre ans d’histoire parce que plus grand-chose à se dire, parce que ses verres d’alcool plus bavards que ses baisers, parce que le temps qui nous éloigne et mon cœur qui s’ennuie.

Il y a dix petites culottes devant moi à laver, dix petites culottes pour dix jours.

Dix jours que je vis dans dix mètres carré sans machine et sans lui. Quelques tee-shirts, deux jeans, une veste, une vingtaine de chaussettes et pas deux identiques. Je fous tout mon linge sale dans un sac Monoprix et je ne sais pas. Je ne sais pas si je retourne dans cet appartement qui est resté le sien pour voir Cédric ou simplement par putain de flemme d’aller à laverie.

Après tout, j’imagine que c’est bien. Une visite une fois par semaine, pourquoi pas deux, une façon de se dire que l’on reste en « bon terme », une façon de se séparer mais pas trop violemment, aux odeurs de violette ou de savon de Marseille, autour d’une machine sur laquelle on ne baisera plus jamais.

Je sonne. Je regarde mon doigt, mon doigt qui appuie sur ce bouton que je n’avais jamais touché. Je suis chez moi mais plus vraiment. Les lieux ne m’appartiennent plus ou juste sur le papier, juste sur le dernier chèque que j’ai signé il y a trois semaines.

Il m’ouvre, il n’a pas changé. On ne change pas en quelques jours. On s’embrasse, quatre baisers, quatre joues. Il ne me dit pas d’entrer, sans doute parce que ça va de soi. Je ne reconnais pas l’air ici, les murs sont vides et les poubelles sont pleines. Le canapé ressemble au canapé du studio dans lequel il vivait quand je l’ai rencontré. Des tee-shirts se battent avec des paquets de clopes, des magazines et trois télécommandes.

Je vais tout de suite dans la salle de bain. Je me dis qu’on parlera après. L’endroit m’échappe déjà ou ne m’a jamais vraiment échappé, je ne sais pas bien. Je remplis le tambour de mes kilos de vêtements par-dessus quelques trucs à lui qui traînent au fond. Je lance le programme et je file le rejoindre au salon.

Je lui demande comment il va, il évite la question et me la retourne. Je lui raconte mon nouveau quartier, mon nouveau cours de danse, que j’ai perdu ma carte vitale et qu’on s’en fout un peu.

La machine en fond, je me sens bercée d’un bruit familier, plutôt bien ici, plutôt au chaud. C’est une bonne idée la machine hebdomadaire. Finalement, on gueule pendant quatre ans en lavant les caleçons de l’autre et un beau jour, on trouve ça joli de partager encore un peu du même adoucissant.

Je pense à Souchon, à l’amour à la machine, à ces trucs-là puis je me tais, je me lève et je file dans la chambre pour récupérer un dernier sac de chaussures.

Il me faut dix secondes pour réaliser que la porte est fermée à clé. La porte est fermée, Cédric ?

Il dit que non, il dit que oui, en fait non, peut-être oui, qu’il ne sait plus ou plutôt pas, il bafouille, je le regarde, il me dit attends.

J’attends le « ce n’est pas ce que tu crois » mais j’imagine qu’on ne dit pas ce genre de chose une fois séparés, que je peux bien croire ce que je veux et qu’il peut bien me laisser croire ce que je veux.

« Une fille, il y a une fille ».

J’essaie de comprendre ce qu’il me raconte. Ou peut-être n’y a-t-il rien à comprendre. Je ne dis rien, je ne veux pas qu’elle m’entende, si encore elle existe.

Vingt mille tours dans ma tête, plus forts qu’un tambour, plus forts que l’essorage.

Une fille ? Avec des cheveux, des seins, une fille, dans mon lit et que tu baises, une fille, là, derrière la porte, à poils ou dans ta chemise, dans nos draps que t’as même pas dû laver depuis mon départ ?

Et elle fout quoi depuis tout à l’heure ? Elle entend. Elle entend mes petits pas dans l’appartement, mes petites agitations dans la salle de bain, ma façon de te demander comment ça va, il m’appartient mon « comment ça va », il est de toi à moi, il est nos nuits blanches, notre façon d’en chier, il est cette séparation que l’on veut sans la vouloir, ces questions que l’on se pose chaque jour sans avancer vraiment.

Enfin j’imagine que la seule question que tu t’es posée cette nuit, c’est si tu avais des capotes.

Il reste sept minutes au programme, c’est long, c’est plus long que quatre ans de relation.

J’attends, je brûle et je me bouffe les ongles. Elle lit peut-être un livre que j’ai laissé sur la table de nuit, elle regarde par ma fenêtre ou boit dans ma bouteille.

Je trouve ça sale, tout est sale, et moi qui venais ici faire du propre, de mon linge à notre histoire, moi qui parlais de rester en « bon terme », toi qui me regardes et chuchotes que tu n’as « aucun compte à me rendre ».

C’est mon lit, ce sont nos souvenirs, nos années, ce sont nos affaires, nos murs, contre lesquels on a fait l’amour ou balancé des assiettes et toi tu frottes des pouffes sur la moquette en prétextant n’avoir aucun compte à me rendre.

J’ai envie de pleurer. Mais comme je pleure toujours bruyamment.

Je mets dans mon sac mon linge humide et lourd. J’enfile ma veste. Je murmure au revoir, ou quelque chose comme ça et je descends les escaliers, les larmes qui montent, les comptes qui se font. J’avais dix petites culottes à laver, j’ai quatre ans d’histoire à surmonter et un budget de vingt cinq euros de laverie par mois qui m’attend. Mais ça ira, voilà, ça ira Cédric.

7 Commentaires on Dix petites culottes

  1. Laurie
    22 avril 2014 à 11 h 16 min (2 années ago)

    Waouh (le commentaire ne sert à rien, mais je suis autant admirative du style que dégoûtée de l’histoire).

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  2. Le_Renard_Polaire
    22 avril 2014 à 11 h 17 min (2 années ago)

    4 ans et une liste. On en finit tous là, à faire des listes…

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  3. liloute
    22 avril 2014 à 12 h 43 min (2 années ago)

    Histoire très touchante…
    9 ans et j’en suis au meme point… je pars je ne pars pas… je l’aime encore… je ne l’aime plus… il rencontre quelqu’un d’autre et ca me fait tellement mal que je gache notre histoire..

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  4. Cédric Jacqueline
    22 avril 2014 à 13 h 13 min (2 années ago)

    La réalité avérée sans cœur, mais elle t’aidera à te remettre sur le bon chemin pour écrire de nouvelles pages de ta vie Caro.

    La roue tourne toujours…

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    • miuu
      22 avril 2014 à 13 h 25 min (2 années ago)

      Cette histoire est tres touchante et on la tous plus au moins vecue mais pas avec d aussi jolis mots. Bravo

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  5. Cmoi
    22 avril 2014 à 17 h 26 min (2 années ago)

    J’ai trop pleuré aujourd’hui sur ma propre séparation, mais, voilà, on n’est pas radine, nous : alors j’en ai remis un petit litre pour la tienne !

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  6. zizazog
    28 avril 2014 à 12 h 00 min (2 années ago)

    mauvaise idée de vouloir rester en contact avec un ex la preuve avec ce qu’elle écrit

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