Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Il a répondu

C’est comme une réunion même si ça n’en porte pas le nom. On est quatre gentilles connasses autour d’une table, des paquets de cigarettes échoués, des briquets et une boîte d’allumettes, des bières et des dessous de verres en carton que Clotilde déchire du bout des doigts. Agacée, elle déclare que c’est le moment : bon, j’écris quoi à Cédric ?

On sait pourquoi on est là : écrire à Cédric.

Reconquérir, relancer, quitter, titiller, tester, entretenir. Antoine, Julien, Cédric, Théo, Adrien, Charles. Quel que soit le but et qui que soit le mec, les filles composent souvent à plusieurs ou ne composent pas.

Cédric. Premier rencard il y a six jours. Pas de premier baiser. Sept messages échangés depuis. Dont deux avec un smiley.

Clotilde s’est levée ce matin en sachant qu’aujourd’hui, elle allait « craquer ». Elle « tenait » mais elle ne tient plus. Elle nous regarde, d’un air de dire je compte sur vous. On pense toujours qu’à quatre, huit mains et une trentaine d’histoires passées à nous toutes, on trouvera les bons mots, de ceux qui lui permettront un deuxième rendez-vous.

Pour écrire, on a besoin d’éléments. Clotilde ouvre le dossier, nous fait le « fameux récap », nous lit les derniers échanges.

Quand elle en a fini, elle monte d’un ton : « C’est bon, vous avez déjà une idée ? Ou je vous raconte vite fait le rencard ? ». On répond toutes les trois que oui, on a une idée. « Mais je vous raconte quand même vite fait le rencard ».

Elle nous refait le film. Une petite rue vers Odéon, 20h, il était à l’heure, je crois qu’il n’y a pas eu de blancs, vraiment c’était super, on a un peu ri, en partant il m’a dit « A bientôt », mais ça veut dire quoi « A bientôt », les filles ?

Silence. « Qu’il compte te revoir ? » propose l’une. « Qu’il s’en fout » répond une autre.

Marie demande : « T’as maté son profil Facebook ? » comme si ça pouvait nous apporter une quelconque réponse.

Je demande à relire encore une fois les derniers SMS.

Hélène boit une gorgée et balance : « C’est plus simple que ça les filles, c’est toi qui as écrit en dernier Clo, ne fais rien en fait ». C’est là que Marie rétorque que « cette règle, c’est de la merde et que d’ailleurs, il n’y a pas de règle ».

Clotilde attrape mon dessous de verre et soupire. Elle soupire mais au fond elle sait que nous allons tomber d’accord. Parce qu’à chaque fois, elle soupire et parce qu’à chaque fois, nous tombons d’accord.

« Je lui écris pas, alors ? ». Question qu’elle pose histoire de relancer le débat pour quelques minutes pour un message qu’elle enverra de toute façon.

On conclut, comme d’ordinaire, que si elle en a envie, elle doit le faire. Le visage de Clotilde se détend, soulagée qu’on lui donne « l’autorisation ». « Oui, j’en ai envie. Mais du coup, on met quoi ? »

C’était donc l’objet du début. On sourit de nos quatre sourires, comme fières d’avoir bouclé la première étape du projet, d’avoir conclu que oui, l’envoi du message est pour ce soir.

« Propose-lui un rendez-vous Clo »
« Non, c’est à lui de le faire, tu ne crois pas Marie ? »
« Alors demande-lui comment ça va »
« Non c’est naze ça »
« Envoie-lui une blague »
« T’en as une ? »
« Non »

Les idées fusent, on part dans tous les sens : « Hello, tu es dispo mercredi ou jeudi ? »

« Non, pas Hello. Attaque directement sur la proposition » dit Marie. « Non, c’est froid, tranche Hélène. Moi je mettrais coucou. »

On se marre, on lui dit qu’on n’a pas quinze ans. Et Kikoo, t’y as pensé sinon Hélène ? T’écris ça, à Ben ?

On finit par valider le message suivant « Hello Cédric, ça te tente un verre mardi ou mercredi ? »

Clotilde tape en trente minutes un message qui n’en prend que deux. Elle hésite, elle revisite les mots, on confirme une énième fois que « c’est très bien ». Elle dit qu’au fond, elle aurait préféré qu’il craque avant.

Avant d’envoyer, Clotilde nous regarde et nous dit : « Vous êtes sûres ? ». Dans notre bande de copine, c’est toujours Marie qui appuie sur le bouton « envoyer » pour faire accélérer le bordel. Clotilde pousse un petit cri, d’un air de dire « T’es folle » sans le penser une seconde. On encourage son cri, on crie aussi, elle lâche son téléphone sur la table comme si elle venait de balancer une bouteille à la mer, comme si maintenant tout ça ne lui appartenait plus, que tout était du côté de Cédric.

« Bon bah maintenant, il faut qu’il réponde ».

Léger silence.

Clotilde attaque donc la seconde partie de la réunion. La partie « Imaginez que ». « Imaginez qu’il ait peur ? » puis « Imaginez qu’il ne réponde pas ? », puis « Imaginez qu’il dise non » puis surtout « Imaginez qu’il dise oui, je m’habille comment ? ». On « imagine » de longues minutes sans réponse du dit Cédric. Clotilde lâche un « Vas-y je reprends une bière j’en ai marre ». Marie demande « Il répond vite en général ? »

Clotilde dit que oui, en moyenne « Je dirais 15 minutes ». « Non peut-être 17 ou 18 s’il fallait être précise ».

C’est quand le portable s’allume et qu’il est écrit Cédric qu’on crie toutes en même temps « Il a répondu. »

Il y a toujours une petite voix dans la bande qui dit « Tu vois ».

Voilà, c’est toujours pareil et ça se passe comme ça dans toutes les piaules, tous les cafés, tous les métros, toutes les conversations téléphoniques, tous les chats Facebook, ça se passe comme ça et c’est de la folie « Il a répondu ».

« Il a répondu ». La phrase le plus prononcée par les filles après « Je lui écris quoi ? », « J’ai mes règles » et « Faut que je te raconte ».

« Il dit quoi ? » on demande en choeur.

« Qu’il est dispo les deux. Je réponds quoi les filles ? Il veut me dire quoi là ? Qu’on se voie les deux ? Que je dois choisir ? Merde les filles, je réponds quoi ? Il a mis trois petits points. Il a mis : les deux, trois petits points. On répond quoi ? »

 

4 Commentaires on Il a répondu

  1. Do
    3 février 2014 à 19 h 36 min (2 années ago)

    Génial ! Merci :-)

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  2. po
    4 février 2014 à 21 h 34 min (2 années ago)

    c’est un récit digne d’un scénar d’héléne et les garçons^^ un peu culcul

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  3. Ovary
    5 février 2014 à 10 h 32 min (2 années ago)

    Dans Hélène et les Garçons, ils se prenaient moins la tête, en plus. C’est ça qui est GRAVE.

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  4. Pb18
    23 février 2014 à 20 h 01 min (2 années ago)

    J’aurais aimé avoir un portable à l’époque de mes premiers amours !!! 😉

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