jan
2014
Il va rompre dimanche
On distribuait les gobelets. Assis en tailleur et en ronde, nos cigarettes depuis le ciel formaient peut-être le plus joli lampion de toutes les bandes de copains.
Romain m’a servi à boire, il a ajouté : il faut que je te dise. Je n’ai pas bougé, je savais qu’il allait poursuivre. Ne laisser qu’une seconde entre le besoin de se confier et la confidence elle-même.
« Je vais quitter Olive »
Je l’ai écouté me raconter que lui et Olivia, ce n’était plus vraiment ça. Cinq ans d’histoire dont trois sous le même toit, il estimait avoir fait le tour. Se demandait si l’amour pouvait faire des tours, et pourquoi ça n’avait pas filé tout droit.
« Je vais lui parler dimanche »
Pourquoi dimanche ? C’est plus facile de faire sa valise un dimanche ? De trouver un pote chez qui aller dormir ? Tu ne crois pas que le dimanche, c’est déjà assez triste ? Tuer un bout de la vie d’Olive un jour qui tue déjà la semaine, c’est con, non ? Romain ?
Je n’ai rien dit. Au final, dimanche ou lundi, août ou septembre, soleil ou pas, ça ne changerait pas grand-chose. On n’a jamais remercié personne de nous avoir quitté un vendredi « parce que c’est plus facile à gérer le week-end, t’as bien fait ».
Nous étions jeudi. J’ai compté les heures qui séparaient Olive de sa triste nouvelle. J’ai bu une gorgée, éteint ma cigarette, fait de notre jolie ronde une ronde en pointillés. Les autres, aux oreilles tendues, se sont rapprochés de notre conversation. Tu vas quitter Olive ?
La petite verte allait virer noire.
On ne la voit que rarement Olive. On ne connaît que son fantôme. On l’a vue quelques fois mais trop peu pour en garder un visage précis. Pendant toutes ces années, on a fait la même blague : t’es pas venu avec Olive ? Mais t’en as ramenées pour l’apéro au moins ? Et à force d’en rire, on s’est toujours contenté d’une Olive avec de la féta et des poivrons dans un ramequin en plastique sans vraiment se demander pourquoi celle qu’il dénoyautait tous les soirs en missionnaire ou en levrette n’était pas de la partie.
Ce soir, on avait l’impression de comprendre, enfin. On était tous là, suspendus à son histoire. Entre eux, plus tellement de sentiments, plutôt des problèmes.
Toute la bande était là, choquée, à lui demander s’il était « sûr ». A conclure « Si t’es sûr ». A demander « Mais tu as rencontré quelqu’un d’autre ? ». A l’entendre répondre « Peut-être, oui ». Ah oui, donc « Tu es sûr ». « Oui, je suis sûr ».
Nous étions sept. Sept à connaître avant Olive la couleur de son dimanche. On savait à quelle heure il lui dirait « Il faut qu’on parle ». On connaissait déjà toutes les raisons que Romain avait de partir et celles qu’il allait réellement lui annoncer. On savait tous chez qui il irait dormir ce dimanche soir quand elle, elle lui demanderait « Mais tu vas aller où ? ».
Sept à connaître le chagrin d’Olive avant qu’elle ne le subisse. On connaissait déjà les remous de son coeur, le coup de poignard, avant même qu’il n’en bouffe les fracas.
Un peu comme quand Simon nous racontait tromper Marie. Un peu comme on tirait la gueule quand elle chantonnait en soirée alors qu’on savait tous. Tous qu’elle se faisait baiser dans le dos et hier soir encore.
J’ai eu envie, soudain, de courir voir Olive. Ne rien dire mais lui coller mille pansements. Prévenir l’hémorragie. J’aurais voulu aller chez elle, l’allonger, lui passer ma main sur le front, sortir de ses placards ses plaids les plus doux, placer sa tête contre quelques oreillers, je voulais la remplir de jolis mots, la préparer au discours de dimanche qui n’en contiendrait que des mauvais. Je voulais la reconstruire avant qu’elle ne s’effondre.
A chaque fois que quelqu’un va se faire planter, combien de personnes le savent avant ?
Combien savent que vous vivez encore dans le rose, que vous vous levez presque normalement une toute petite dernière fois ? Que votre lendemain est la première journée d’une nouvelle vie que vous ne voulez pas ?
On s’est resservi à boire. Il a dit « Voilà ». « Voilà, dimanche ».
On a tous repris une cigarette. La mienne avait le goût de la culpabilité.
Je n’aimais pas savoir avant elle.
Une semaine plus tard, notre petite ronde depuis le ciel formait de nouveau un cercle presque parfait. Il m’a dit qu’il l’avait finalement quittée le samedi et ça m’a presque soulagée de penser que non, je ne savais pas tout, pas vraiment. Olive savait des choses qu’on n’avait pas su ce jeudi, elle n’avait pas été quittée au moment où on se l’imaginait.
Et c’était toujours ça qui n’appartenait qu’à elle.
Blog du Dimanche
20 janvier 2014 à 15 h 19 min (2 années ago)Magnifique….
Garance
20 janvier 2014 à 15 h 38 min (2 années ago)Mais c’est qu’elle va me faire chialer !
Le_Renard_Polaire
20 janvier 2014 à 15 h 41 min (2 années ago)Encore une fois j’arrive par un tweet, et encore une fois je lis d’une traite alors que je ne devrais pas être là…
C’est… Wow… (*)
(* pas le jeu hein)
Gant2velours
20 janvier 2014 à 23 h 35 min (2 années ago)Pour Olive, le petit bout d’Olive qu’on a toutes été un jour…
Et tout le monde le savait donc avant nous?
Allez Valérie, ça nous réconcilie d’un coup avec toi… ou presque !