Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Ma première nuit avec toi

Depuis notre rencontre, nous n’avons partagé qu’une dizaine de verres et beaucoup moins d’heures. Nous n’en sommes qu’au deuxième rencard.

Et ce soir, comme lors de la première soirée, nous rions comme des cons. Dans ce petit café et en terrasse, la nuit tombe et il me dit « déjà ? ». Je pense à tous les « déjà », à tout ce temps passé trop vite dans les moments qui roulent tout seuls, les journées chez Disney, les vacances à la Baule, les soirées entre filles. Ce « déjà » qui prouve qu’on est simplement bien.

Je lui réponds « oui, déjà ». Je pense « déjà minuit ». Il pense peut-être « qu’il est temps de ».

Rentrer. Baiser.

J’ai peur de l’instant où nos chemins vont faire mine de devoir se séparer, sachant pertinemment qu’il va falloir en choisir un des deux.

Nous descendons les marches. Il me demande si je prends la ligne 1, je réponds que oui et ajoute « toi la 4 », il acquiesce, il sourit, parce qu’il sait, il sait que je sais et je sais qu’il sait que je sais. Il m’embrasse et me demande à quelle heure je commence demain. Je réponds que je n’ai pas d’heure, mon mensonge est aussi gros que mon envie de le suivre. Il me propose alors de prendre la ligne 4 et j’emboîte son pas, silencieuse, mon sac à main autour de moi, mon petit sac à part sur les épaules et un peu lourd.

C’est mon flacon de démaquillant ça. Format familial.

C’est au cas où. Que je l’ai mis dans mon sac. Avec une culotte propre. Avec un tee-shirt pour demain. Avec de la mousse pour mes cheveux bouclés. Avec, avec, avec.

Parce que tout est sous contrôle. Parce qu’une première nuit à venir, un premier corps à corps, parce que la suite logique.

On monte ses cinq étages qui un jour me seront peut-être familiers. Il me propose de porter mon sac, je refuse, je refuse parce qu’il pèse, il pèse l’eau micellaire gros format, il pèse les fringues pour demain, il pèse la fille qui a tout prévu, il pèse la fille qui savait, qui rêve déjà et qui s’installe.

Pire, il pèse peut-être la fille qui veut se marier alors je lui dis non mais il le saisit. Il est trop poli, je suis trop gênée. Il balance la remarque tant attendue, un petit « la vache, qu’est-ce que t’as là-dedans », je pourrais répondre un ordinateur ou trois livres, un chat ou « déjà » des sentiments pour toi, mais je n’ai pas le cœur à inventer ou dévoiler quoique ce soit.

Ce qu’il y a là-dedans, c’est sans doute un début d’histoire d’amour et ça pèse encore plus lourd à quelques minutes du grand saut.

Je pose mes affaires dans un coin, au début on pose toujours ses affaires dans un coin, c’est le coin qu’on occupera quelques temps, avant d’envahir une chaise, une table et peut-être un bout de placard.

Il me fait faire le tour du propriétaire. Je regarde les murs, la marque des paquets de pâtes, je nous trouve des points communs, ils s’appellent « Barilla », « Carte Noire » et « MacBook ».

On s’installe dans son canapé, il saisit mon visage, je saisis son tee-shirt. On saisit l’occasion.

Le grand saut. Le vide.

Corps à corps et découvertes, les mains qui n’ont plus le mode d’emploi, les vêtements qui finissent au sol et le pas franchi.

On finit l’un contre l’autre à deux doigts de s’endormir.

Il se lève chercher une bouteille d’eau et je me dirige vers mon sac pour me démaquiller. Je plane un peu, je mets de l’eau micellaire à côté, sur mes pieds, sur le parquet, je souris bêtement et plaque mon coton sur mon visage encore brûlant.

Il me voit faire, jette son regard sur le gros flacon et commente que « c’était donc ça, le poids du sac ». Il fait comme un face à face avec le cinquante centilitres, comme si ces derniers voulaient lui dire « on est là pour un an, il y a de quoi s’éponger la face pendant trois cent cinquante jours ».

J’ai peur qu’il ait peur, j’ai bien envie de dire qu’il faut toujours se démaquiller, que c’était juste de la prévention, que je le fais même quand je n’envisage pas qu’on me rappelle ou de rappeler, j’ai envie de me justifier, de faire la fille qui s’en fout d’être là, de lui dire que je n’avais qu’un gros format et qu’il faut prendre soin de sa peau et que non je ne m’emballe pas ou pas assez pour qu’il nous craigne.

Si le flacon avait été petit, il aurait pu penser que je l’avais toujours sur moi. J’aurais dû. Etre discrète. Lui montrer que je ne nous prends pas au sérieux pour qu’il ait peut-être envie de le faire.

Mais je vois toujours tout en grand.

On s’endort sans un mot. Je pense au réveil, celui qui fait mal aux amants, au « déjà huit heures » qui arrivera trop vite, à celui qui veut parfois tout dire, qui dévoile si tout ça n’était qu’un coup d’une fois ou de plusieurs et si le démaquillant était une erreur ou non.

Quand le « déjà huit heures » sonne, quand on sort de cet instant qui dure depuis la veille, j’ai l’impression de me prendre une claque, de découvrir une drôle de réalité, réalité que j’avais oubliée, maquillée, achevée. Vincent se lève, oublie que je suis dans son lit, encore dans son sommeil ou déjà dans sa réalité à lui.

Dans la salle de bain, je regarde ma trousse de toilettes, que j’ai promenée jusqu’ici, avec des promesses dans le voyage. L’eau chaude m’en fait rougir les cuisses, je croise les doigts, j’espère que tout ça ne s’éteindra pas demain, j’espère que ses non-baisers au réveil ne veulent rien dire, ne présagent pas d’appels en absence et de pleurs dans trois jours, j’espère qu’on est au début d’un chemin plutôt bien éclairé et que mes cotons à l’eau micellaire envahiront encore sa poubelle dans les semaines à venir.

Je m’habille, déconfite et amoureuse, j’en disputerais mon cœur et ses manières un peu con, que d’avoir imaginé du grand là où il n’y avait peut-être que du petit, d’avoir emmené autant de quoi faire sa toilette dans un moment où il s’agissait peut-être seulement de baiser. Et dans « baiser », il y a quelque chose de malpropre.

J’enfile mes chaussures, prête à partir, parce que « j’ai une heure », quand même. Il me dit qu’il va me suivre, que pour une fois il arrivera tôt au boulot. Je rassemble mes affaires, j’attends un regard qui signe la suite, un contrat sur la table, un café pour me prouver que. Il ne se passe rien. On est comme « déjà » à la fin ou face à quelque chose qui n’a pas commencé.

Pourquoi on en fait toujours trop, pourquoi on ramène ce sac de merde que l’on cache jusqu’au bout, pourquoi on baisse la garde après le sexe et on déballe son bordel l’air de rien, pourquoi on montre à l’autre qu’on a soigneusement préparé nos affaires de princesse parce qu’on savait, parce qu’on y croit, parce qu’on a envie que la première nuit ait déjà des airs de couple plutôt que des airs de cochon, parce que ramener son petit balluchon, ça fait un peu sérieux et sonne un peu moins cul.

Je prends mes affaires dans le coin. Il me regarde et me dit  « Laisse ton démaquillant ici. Vu son poids, c’est peut-être con de le promener partout, autant qu’il reste là. »

Je suis tellement heureuse que je me le ferais cul sec.

5 Commentaires on Ma première nuit avec toi

  1. IsaBdx
    28 avril 2014 à 15 h 52 min (2 années ago)

    Magique et tellement vrai :-)
    Merci

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  2. NowMadNow
    30 avril 2014 à 11 h 28 min (2 années ago)

    C’est divinement écrit et transforme ces émotions troubles en poésie intimiste. J’adore, vraiment.

    NowMadNow

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  3. Marion
    26 juin 2014 à 5 h 50 min (2 années ago)

    Pouah !!! Je n’ai jamais écrit cette expression, mais c’est elle qui me vient ! Ta plume, cette histoire, cet enchaînement, et ce rebond du cœur en guise de chute ! Splendide ! J’peux revenir dis, je peux ?!

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