Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Est-ce que tu seras là demain

Deux sacs poubelle dans les mains, j’ai dévalé les escaliers. J’étais en retard, évidemment, puisque je n’ai jamais eu le temps d’être à l’heure.

CQFD.

J’ai couru en direction du métro, allumé une cigarette et foutu la langue dans mon thermos. J’ai pesté parce que c’était trop chaud, parce que c’était la même chose tous les matins, parce que j’avais déjà mal aux pieds. Parce que la vie, parce que la merde.

J’ai fouillé mes deux poches de cul à la recherche de ma carte de transport et aperçu mon grand brun tout en vert avec ses journaux à la main. Comme tous les matins, je me suis approchée, j’ai pris mon Metro, j’ai dit merci et essayé de deviner mon horoscope avant de le découvrir.

Et comme tous les matins, sous sa casquette, il m’a demandé ce que je buvais en me souhaitant une bonne journée.

Je bois comme hier.
Gémeaux. Une belle daube.

Puis il a crié : attends.

Je l’ai regardé, interloquée. Oui ? Il a simplement dit : « Demain, c’est mon dernier jour ».

J’ai hésité entre le « J’en n’ai rien à carrer » et le « Bonne continuation ». Je me suis contentée de sourire, en essayant d’ouvrir la bouche et en fermant ma gueule. Puis j’ai bougé la tête, comme pour dire non. Un genre de « Non ne pars pas, c’est plutôt bien de se croiser tous les matins ». Mais comme dire non avait peu de sens, et parce qu’il n’aurait pas compris, je suis partie en vitesse les yeux rivés sur les titres de ce 27 septembre en pensant : le monde va mal et moi guère mieux.

Toute la journée, j’ai lu et relu mon journal comme s’il allait me donner le prénom de mon bel inconnu et son adresse postale.

Evidemment, à la dixième lecture, j’ai fait la gueule avant d’entreprendre de faire mes comptes : 107 Metro empilés dans un coin de ma chambre.

Comme une boîte à souvenirs, une boîte à ex, comme certaines filles conservent des billets de train, un rasoir ou un vieux tee-shirt sponsorisé.

Je me suis assise sur mon tas de papier et j’ai réfléchi.

Je me suis dit que c’était beaucoup, 107 matins. Ça faisait 107 sourires, 107 « Tu bois quoi ? », 107 « Comme hier », 107 « bonne journée », 107 « merci » et à peu près la moitié d’horoscopes dégueulasses.

107 Metro, c’était suffisant pour me motiver à tenter quelque chose dès le lendemain matin, finalement. Et puisque je n’allais pas les revendre.

Alors le 28 septembre, tôt, j’ai couru jusqu’à la boulangerie. J’ai acheté un pain au chocolat, j’ai glissé dans le sachet un petit papier avec mon numéro de téléphone et j’ai marché tête droite jusqu’au métro en allumant une cigarette, plutôt fière de moi.

Je lui ai tendu le sachet, il m’a souri très grand en disant merci, il a ouvert, retiré le pain au chocolat pour croquer dedans et fait une boule avec le papier. J’ai murmuré « de rien » et balancé « à bientôt peut-être ». En partant, je me suis retournée une seconde pour jeter un œil à la poubelle située à trois mètres de lui, la peur au ventre.

Le lendemain, même heure, en passant sur les lieux, il n’était pas là. Il n’était plus là. Aucune surprise. Sauf celle d’entendre mon téléphone et de lire : il est comment mon remplaçant ? Tu me raconteras ça autour d’un verre ?

Et c’est autour d’un verre et après 108 Metro que tout a démarré.

8 Commentaires on Est-ce que tu seras là demain

  1. NATHALIE DUTARTRE
    3 avril 2014 à 14 h 11 min (2 années ago)

    mais comment fais tu pour nous transporter de la sorte? A bientôt

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  2. Maud
    3 avril 2014 à 21 h 27 min (2 années ago)

    oh la vache !!! c’est dingue comme histoire… :-) j’adooore…

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  3. Le_Renard_Polaire
    4 avril 2014 à 6 h 29 min (2 années ago)

    Comme tous les matins, je guette mon flux RSS.

    Comme à chaque fois, c’est un régal pour les yeux.

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  4. Minute Papillon
    4 avril 2014 à 17 h 40 min (2 années ago)

    J’adore! C’est complètement magique, et magnifiquement raconté!

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  5. zaz
    7 avril 2014 à 10 h 24 min (2 années ago)

    Tout simplement, j’adore ! J’ai découvert votre blog il n’y a pas longtemps. J’aime ces petites nouvelles, la chute y est toujours terrible… Ces quelques lignes sont toujours un régal !

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  6. caramel
    8 avril 2014 à 12 h 39 min (2 années ago)

    très belle histoire… oui tu nous captives …toujours et encore !!!!!merci ovary

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  7. Onali13
    9 avril 2014 à 11 h 21 min (2 années ago)

    J’ai découvert votre blog grâce à celui des Moukraines à la Glaviouse et à Femme Sweet Femme.
    Et je vous avouerais que je suis tombée raide dingue de vos écrits.
    J’aime. J’adore. Je love.

    « Bonne continuation »

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  8. Sarah
    10 juin 2014 à 19 h 26 min (2 années ago)

    Je viens de le relire après 2 mois, et je réalise encore pas comme tu as si bien saisi le detail, chaque détail de cette histoire qui me laisse encore un peu réveuse quand j’y repense. Merci encore Caroline.
    Sarah, la meuf du fameux pain au chocolat.

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