Le blog d'Ovary

Si elle n'existait pas vous l'auriez inventée

Salaud

Ce qu’on disait de lui à la machine à café quand j’ai intégré la boîte, c’est qu’il avait essayé de coucher avec la fille du quatrième. Celle tout au fond. On disait aussi qu’il avait réussi mais qu’elle prenait désormais ses distances. Et que de toute façon, elle allait se casser d’ici.

Elles étaient trois, là, avec leurs gobelets, à le plaindre. Un dénommé Etienne. Je n’ai pas bien compris comment on pouvait à ce point avoir de la peine pour un type qui avait trempé son biscuit avec l’obligation de le retirer aussitôt.

Bref, sur l’instant, je m’en foutais pas mal. J’avais juste pour objectif de faire bonne impression. Et j’ai fait bonne impression très vite, auprès dudit Etienne assis en face de moi.

Un matin, il m’a proposé un café. On a bu notre jus, de la pisse dans cette boîte, et il m’a raconté l’histoire avec la fille du quatrième. Une vraie pétasse. Qui l’a malmené. Retourné. Pas rappelé. Elle était venue le chercher, pourtant mariée et maman, elle lui avait promis la lune et l’avait ravalée pour elle toute seule. Je l’observais, lancé dans son récit. Une jolie gueule. Pas une belle gueule mais une jolie gueule. Qui fait plaisir à regarder. C’est vrai qu’il avait l’air malheureux. Mais je ne savais pas quoi répondre. A ce moment-là, j’étais en couple depuis sept ans et les plans de drague foireux, ça me dépassait un peu. L’amour, ça sent l’évidence. Sinon ça sent la merde.

Mais petit à petit, je suis devenue sa confidente. Sa meilleure amie même. Sa plus belle blonde. On était tout le temps ensemble. Les gens m’appelaient même Etienne. Il me faisait du bien, avec ses compliments, sa tendresse. Il me donnait confiance en moi, faut dire. Toutes les filles voulaient manger avec lui le midi à la cantine, moi ça m’était égal. Mais il tenait à ce que je sois là. Pour le protéger de toutes ces mamelles, comme il disait. Trop de filles avaient chaud depuis qu’elles le savaient sentimental.

Le problème, c’est qu’un jour moi aussi j’ai eu chaud. Moi, Marie, droite dans mes pompes et bientôt fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.

Mais peu importe, j’ai essayé d’oublier. J’ai essayé d’oublier le frisson et le drôle de regard dans le couloir. J’ai essayé d’oublier ce truc dans mon ventre. J’ai pensé à mon mec, je me suis dit qu’on était un couple génial même si je le pensais un peu moins depuis quelques temps.

Mais j’ai essayé d’oublier, vraiment. Puis j’ai oublié.

J’ai oublié une semaine et j’ai chialé comme une merde en réalisant.

En réalisant quoi, je ne sais pas en fait. En réalisant que mon couple n’était pas si joli ou en réalisant qu’Etienne me remuait l’estomac. J’ai longtemps hésité et l’un dans l’autre, avant de faire le point sur ma relation existante, j’ai décidé de faire le point sur celle qui n’existait pas.

J’ai convoqué Etienne. Un café, à l’extérieur. Pas le premier. Il m’a regardé, longtemps. J’ai cru qu’il allait me prendre par les hanches. Dans l’ascenseur, j’ai senti son souffle pas très loin de mon cou. Et une tension sexuelle. Voilà, une tension sexuelle.

Peut-être parce que je m’apprêtais à lui parler de ça. Comme j’ai toujours l’impression que ça sent la pizza quand j’ai envie d’une pizza. Bref.

On a pris deux cafés. C’était après le déjeuner. On a allumé une cigarette pour deux et je lui ai demandé ce qu’il se passait entre nous. Silence. Tu ne nous trouves pas qu’il se passe quelque chose entre nous ? Tu me dragues, Etienne, non ?

Non. Il m’a dit que non. Que j’étais très belle, qu’il m’adorait, mais qu’il n’y avait pas de drague, que je ne l’attirais pas et qu’il était comme ça avec toutes les filles. Il a ajouté qu’en plus j’avais un mec, que c’était absurde de penser ça. J’ai parlé de mon ressenti, de ses regards, de la tension sexuelle qui régnait parfois. Il a continué à me balancer des non. En essayant de comprendre et en me rassurant. Il ne voulait pas me vexer. Il a ensuite souligné que je ne devais pas être bien dans ma relation pour en arriver là.

Je suis partie de ce café totalement abasourdie. Je n’étais peut-être qu’une cochonne en manque de sexe qui ressentait des tensions dans l’ascenseur. Dans l’ascenseur parce qu’elle n’avait pas assez d’imagination pour aller vers d’autres fantasmes.

Je me suis sentie un peu humiliée, honteuse d’avoir cru que quelque chose se passait avec Etienne. Honteuse aussi de découvrir que mon besoin premier était peut-être de fuir mon mec.

Alors j’ai quitté mon mec quelques jours plus tard. Moi, Marie, droite dans mes pompes et bientôt fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.

On n’accuse pas sept ans de relations en s’installant chez sa sœur progressivement. Mais ça allait. Plutôt bien. Avec Etienne, on riait toujours autant et on s’envoyait plein de messages. Parfois, je ressentais une tension sexuelle, encore. De la drague, des jeux de séduction, une envie de faire péter la cafétéria sous nos deux corps. Mais il ne se passait rien, il avait raison.

Un beau jour, il s’est mis à me faire la gueule. Oui, la gueule. Ses cafés sans moi, ses pauses cigarettes sans moi. Je me sentais con, plantée à mon bureau, sans partenaire de vie. Oui, de vie. Etienne était devenu mon quotidien, plus que mon quotidien. Il m’aidait à avancer sans trop le savoir. J’avais besoin de lui. Et souvent envie.

Je n’ai pas tenu longtemps. Un matin je l’ai attendu devant le boulot et je lui ai dit que j’avais la sensation qu’il s’éloignait. Que je ne comprenais pas. Il m’a regardée avec des grands yeux, l’air de dire n’importe quoi. Il m’a dit que non, encore ses non, il était toujours aussi présent mais que moi, j’étais un peu détachée. Que ça l’inquiétait d’ailleurs.

Je me suis excusée. Il m’a embrassée.

Je suis rentrée chez moi le soir mille papillons dans le ventre parce qu’il faut dire qu’il avait passé la journée à me pincer les fesses. Ma sœur était ravie pour moi, enfin à moitié. Elle ne comprenait pas que je passe si vite d’une histoire à l’autre. Quand j’ai essayé de comprendre, j’ai chialé, alors je lui ai demandé de fermer sa gueule.

Avec Etienne, on a continué de se chercher, de jouer, de mêler nos langues. Pas d’histoire sérieuse en vue. Il disait que c’était trop tôt. Mes fiançailles ratées et la fille du quatrième. Pas possible. On prenait notre temps, je finissais de transvaser mes meubles chez ma frangine et il continuait d’en baiser une autre, mais ça je l’ai su que trois semaines plus tard.

Je lui ai pardonné. Il a pleuré devant moi en s’excusant. Un égarement. Un besoin de sexe qu’il refusait d’assouvir avec moi parce qu’il me respectait trop. C’était tellement bien dit que je n’ai pas pensé à lui demander à quoi lui servait sa main droite le matin sous la douche. Je l’ai pris dans mes bras. Il a pris un anxiolytique.

Etienne est droitier.

Bref, c’était une soirée confessions. Encore plus forte que toutes celles qu’on avait connues. Il voyait un psy, il était un peu paumé avec les filles. Mais il était fou de moi et il pouvait le dire maintenant que j’étais seule.

On a fait l’amour dans sa voiture, c’était un vendredi soir. Il ne m’a pas répondu du week-end, j’ai cru qu’il était mort.

Sauf que les pervers narcissiques ne meurent jamais.

C’est ce week-end là que j’ai posé des mots sur qui il était. Deux mois plus tard, je n’en ai pas encore posé sur ma douleur. Etienne m’a fait courir pendant six mois, faite arrêtée pour maladie 3 semaines, il m’a fait culpabiliser, angoisser, attendre, espérer, revenir, regretter. Il m’a malmenée, retournée, pas rappelée.

Comme la fille du quatrième et comme des dizaines d’autres.

Moi, Marie, droite dans mes pompes et pas fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.

Je suis aujourd’hui dérangée. Un matelas chez ma sœur. Je viens de poser ma démission. Et j’attends que mon petit cœur se reconstruise. Je pense encore à lui, parce que pour l’instant, il a gagné.

Je n’ai aucune envie de revanche mais j’ai une envie de prévenir. De la prévenir. Cette fille avec qui il partagerait sa vie depuis deux ans. J’ai appris ça lors de nos derniers échanges. Il y a une fille. Qui s’endort tous les soirs sans se douter de quoique ce soit.

J’aimerais qu’elle sache, j’aimerais la sauver.

J’ai envie de m’excuser par avance, parce que j’oublie souvent que j’y suis pour rien.

Je vais me lancer. Je vais gâcher ses jours, ses nuits, je vais tuer son parquet comme le mien crève sous mes larmes, je vais tuer son histoire d’amour là où je pensais aussi en vivre une, je vais la faire hurler comme j’hurle encore.

Mais si elle veut, je la prendrai dans mes bras.

 

8 Commentaires on Salaud

  1. Carene
    6 janvier 2015 à 11 h 22 min (1 année ago)

    Que ca fait plaisir de te lire de nouveau !!! Avec un texte magnifique qui plus est. Dur mais tellement bien ecrir. Comme toujours ! Il ne faut pas nous laisser sans mots de toi aussi longtemps hein ! 😉

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  2. Chapitre
    6 janvier 2015 à 11 h 43 min (1 année ago)

    Merci, ça résonne… en bien ou mal, ça c’est encore une autre histoire !
    Très belle plume en plus, ça résonne partout !

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  3. caramel
    6 janvier 2015 à 12 h 38 min (1 année ago)

    Ça faisait si longtemps qu on attendait !!!très joli texte …belle histoire ..on attendrait presque une suite . Merci ovary pour cette plume qui coule et cette imagination qui nous transporte.

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  4. Misstic
    6 janvier 2015 à 15 h 07 min (1 année ago)

    ton article est renversant, il est génial ce récit et très Poignant..Existe t il des personnes haïssables à ce point? Merci à toi, notre mousquetaire au féminin :)

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  5. Mentalo
    8 janvier 2015 à 10 h 40 min (1 année ago)

    Puissant, très puissant. (Y a de l’écho par ici.)

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  6. Onali
    19 janvier 2015 à 13 h 47 min (1 année ago)

    Frappant. Vécu sans vraiment le vivre. Un texte d’une force rare.

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  7. Claire
    30 janvier 2015 à 22 h 31 min (1 année ago)

    Je vote pour l’évidence plutôt que pour la merde.
    <3

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  8. Nany
    21 juillet 2015 à 12 h 09 min (9 mois ago)

    Merci pour ce beau texte

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