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J’attendais tranquillement dans la salle d’attente, enfin non, pas du tout tranquillement, les pieds qui s’agitaient, les mains tout autant, l’envie de partir en douce et de plus jamais donner de nouvelles à personne.
Elle est où la fille pour l’IRM ? Elle n’existe pas Gérard, y a pas de fille.
On m’a confié un petit questionnaire sur ma vie, j’adore raconter ma vie, l’histoire de mes cicatrices, mon allergie à un antibiotique alors que personne n’a de preuve, paraît juste que j’ai vomi quand j’étais petite. On me demandait aussi si j’étais claustrophobe et là, j’ai vachement hésité. Je supporte les ascenseurs quand ils fonctionnent et je dors très bien la porte de l’appartement fermée, mais je ne savais pas trop où me situer à dix minutes de l’enfermement dans une boîte plus petite qu’une machine à UV. La seule fois où j’ai fait des UV, j’ai paniqué au bout de trois minutes en croyant être là depuis quarante, complètement oubliée du monde, plus de dame, plus personne pour venir me chercher, alors je gardais un bras dehors, le corps à bout de souffle, en essayant de me calmer et en me jurant qu’une peau blanche comme un cul, ça ferait l’affaire pour le restant de ma vie.
Donc bref, j’ai hésité à répondre que j’étais claustrophobe, parce que l’idée d’être enfermée me mettait mal à l’aise et des fois qu’un traitement de faveur soit mis en place pour les grands angoissés, j’aurais trouvé ça bien arrangeant. La peur de mentir mêlée au besoin de me sauver la vie par anticipation ont fait que je n’ai rien répondu du tout. Je laissais un suspens des fois qu’on me dise : vous n’avez pas répondu à la question, du coup on est obligé d’annuler.
Quand j’ai vu qu’il fallait également inscrire la personne à appeler en cas d’urgence, j’ai été balancée entre la fierté de mettre mon mec et non plus mon père, et l’importance de la question. Que peut-il bien se passer de si dramatique pour qu’on appelle mon mec. Mille films ont couru mon cerveau et j’ai vraiment décidé de partir et je suis restée. Je ne savais plus si j’étais lâche ou courageuse.
Un jeune homme m’a appelée et m’a demandé de me déshabiller. Culotte, tee-shirt, sans soutien-gorge, et gardez votre écharpe en guise de plaid, il fait froid. J’ai presque trouvé ça érotique, sauf mon odeur de transpiration, j’avais eu le temps de perdre cent litres d’eau puante sous chaque bras et je me trouvais mal polie.
Ensuite, le jeune homme a saisi mon questionnaire, qu’il a parcouru vite fait. Il n’en avait rien à carrer que je n’aie pas précisé ma potentielle claustrophobie et il ne m’a rien demandé. Seulement de m’allonger. Il m’a foutu une petite pompe dans la main pour l’appeler en cas de besoin, je l’ai serrée tellement fort dès la première seconde, face à lui parmi les vivants, qu’il a hésité à déclencher l’examen. Je l’ai rassurée en lui disant que tout allait bien alors que tout allait mal et j’ai instantanément fermé les yeux afin de garder une part de mystère : ne pas savoir où on m’emmenait.
J’ai ri avec moi-même dès les premiers instants, quand j’ai senti que mon lit partait vers l’arrière, parce que je me sentais très détendue et ridicule d’avoir eu si peur. C’était en fait hyper facile. Il suffit de ne pas regarder. Du coup, je m’imaginais dans un grand pré, courant à poils ou plutôt en culotte, sous un grand soleil, avec malgré tout des bruits de marteaux piqueurs et autre travaux en tout genre. La promenade avait son charme et je respirais si bien qu’il me semblait impossible d’être enfermée.
Quand le bruit a cessé, moi qui dormais presque en pensant à mon roman, complètement stone, j’ai alors ouvert les yeux pensant que c’était terminé. Erreur de ma vie, je me suis retrouvée nez à nez avec un plafond plus près tu meurs, dans une boîte aussi étroite qu’un stick de mozzarella et j’ai commencé à paniquer. Le mec est parti déjeuner ou quoi. Dans les films, ça commence toujours comme ça. La fille se réveille enfermée dans une boîte, elle ne sait pas pourquoi elle est là, elle tape partout, elle hurle, putain est-ce que c’est ça la mort, je veux sortir moi, prendre l’air, j’ai des trucs à faire, au secours.
J’ai crié au secours dans ma tête, je n’ai pas osé emmerder mon monde, pourtant je me disais la situation est peut-être dangereuse et toi tu n’as aucun instinct de survie. J’ai tenu la pompe très fort en fermant de nouveau les yeux, la poitrine serrée et l’envie de crier, j’ai tenté de me calmer, de ramener à moi mille exercices de sophrologie et je me suis mise à chanter Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion, dans ma tête, pour m’apaiser. Visiblement, c’est la seule chanson que je connais par cœur. Le bruit fou a repris en plein dans mon concert et j’étais sûre de tenir un Remix.
Quelques secondes plus tard, j’ai senti que c’était vraiment la fin, la table sur laquelle j’étais couchée bougeait et la sonnette d’alarme m’a été retirée des mains. Mademoiselle, c’est bon. Mademoiselle. Mademoiselle. Je craignais d’ouvrir les yeux. Je voulais être sûre de voir le type de tout à l’heure, avec ses gros cheveux bouclés, et non plus une cage. Il m’a demandé si tout s’était bien passé. J’ai assuré que oui sauf quand j’ai ouvert les yeux. Il a rigolé. J’ai rigolé. On a rigolé et j’ai quand même vu que j’avais du poil aux pattes quand il a fixé mes mollets.
Je suis sortie de là très fière de moi, comme une gamine de quatorze ans qui venait de rouler sa première pelle et réalisait que ce n’était pas si compliqué que ça.
Se lever, essayer, chercher le bon angle, s’appuyer sur son bras, changer de bras, se demander combien j’ai de bras, lâcher l’affaire, me remettre sur le dos, me dire c’est fou, on dirait un insecte qui s’excite et ne parvient plus à se retourner. Ou une femme enceinte, c’est selon.
Prendre de l’élan, respirer un coup, t’es grande, un mauvais moment à passer, s’applaudir, les deux pieds sur le tapis, c’est bien je suis debout, c’est génial pour un début de journée, être debout, mettre ses pantoufles, se dire c’est fou je ne mets jamais mes pantoufles, je vieillis, c’est absurde.
Faire du café, gueuler de douleur, boire un coup, retourner au lit, chercher une position, n’en trouver aucune, tenter de se relever, décider de s’habiller, se mettre en vie, ne pas pouvoir se baisser, ne pas pouvoir enfiler une chaussette, appeler Camille, me faire habiller par Camille, lui rappeler sa fille, rêver d’être si petite, ne pas vieillir, ne jamais vieillir.
Tenter de prendre l’air, souffrir, s’asseoir aux places prioritaires dans le bus, attraper des sourires de compassion au vol, répondre de mon âge à la question, regarder dehors, les gens galopent, attendre encore, un peu de patience.
Voir un jour passer, puis deux, puis avaler ses cachets, les compter comme une retraitée, et de un, de deux, de trois, de quatre, de cinq, de six, tout avaler, se recoucher, guetter son téléphone, refaire un café, passer un coup de fil, avoir de la visite, ne plus avoir de visite.
Ecrire dix minutes, être mal en point, chercher une position, recommencer, me dire c’est drôle, je bosse en pointillés, je bosse plus souvent moins longtemps, je bosse différemment, prendre une douche chaude, pleine d’espoir, reprendre des médicaments, espérer, attendre, prier ma propre patience, je ne suis pas patiente, puis-je le devenir, chercher à le devenir en même temps qu’une position, refaire du café, répondre à un message, espérer un message, espérer la patience, tourner en rond, attendre, encore.
Mettre la télé, s’y attarder, chercher un film, deux films, trois films, autant de films que de médicaments par prise, revoir ceux que j’ai déjà vus, des valeurs sûres, m’endormir quinze minutes, me remettre au boulot, couper le son de la télé, oublier de le remettre, être tellement au bout du rouleau, inventer un nouveau jeu, lire sur les lèvres, mater des émissions en lisant sur les lèvres, voilà, reconnaître le magnifique de Cristina, être vraiment au bout du rouleau, me dire je suis vraiment au bout du rouleau.
Ecouter de la musique, me dire c’est l’occasion de découvrir, essayer de chanter, vouloir danser, lâcher l’affaire, encore, alors écrire, encore, ne savoir faire que ça, et puis manger, boire du coca, regarder son téléphone, descendre au courrier, râler, douleur. S’énerver devant le grand miroir du hall d’entrée. Voir les jours défiler, encore.
Penser à demain, au demain de demain et à tous les demains, penser à ce jour prochain où aller chez Monoprix ne sera qu’un fou bonheur, le plaisir d’arpenter les rayons, de voir le ciel, prendre un verre dehors, traverser la rue, toutes les rues, rejoindre du monde, aller acheter un agenda et un nouveau gel douche, préparer septembre et être bien, être bien et ne plus errer, ne plus chercher sa place dans un rond trop anguleux, qui fait mal, mal, mal, mal.
Bref, j’ai une hernie discale.
Comme tu le sais peut-être, cher lecteur, Virginie Grimaldi et moi-même avons co-écrit un merveilleux guide pratique aux éditions Solar, Comment supporter belle-maman (ou la dézinguer le cas échant), le tout illustré et maquetté par Marion Chevrier.
Ce livre est vraiment SUPER MARRANT et donne plein de SUPER CONSEILS pour survive à la belle-mère, cette espèce en voie de multiplication avec laquelle nous sommes condamnés à vivre. C’est un livre qui t’apprend un tas de trucs : comment ne pas la rencontrer, comment tenir le coup si finalement ça arrive, comment lui faire des crasses, comment te débarrasser d’elle… et en plus de ça, c’est un guide défouloir dans lequel tu peux vraiment exprimer ta rage (punaise je sais que t’as une grosse rage) en marchant sur ta belle-mère (tu verras comment), en la défigurant (tu verras comment) ou en pourrissant pour de vrai son chien Kiki (tu verras comment).
Je sais, ça fait beaucoup de suspens, alors pour qu’il ne dure pas, je te propose un super petit jeu pour gagner un exemplaire. Il y a en 5 à remporter avec un petit jeu concours SUPER MARRANT. Comment jouer ? Facile, raconte-moi dans un commentaire (ici) ta meilleure « anecdote belle-mère ». Il peut s’agir de la tienne ou d’une histoire que tu as entendue. Le but, c’est d’être hyper drôle et de me faire faire pipi dessus de rire. Une bonne scène cocasse ou une bonne réplique bien dans ta face qu’on va tous adorer. Vous avez jusqu’au 15 septembre minuit.
Les hommes aussi peuvent jouer, les hommes aussi ont des belles-mères.
A toi de jouer. Moi, perso, je précise encore que j’ai écrit ce guide avant de connaître ma belle-mère et me suis uniquement inspirée de la belle-mère de Virginie, EVIDEMMENT. Du coup, je ne peux pas jouer.
Il y a une histoire que je ne vous ai jamais racontée et c’est bien dommage, parce qu’elle est vachement sympa. Alors voici.
J’ai toujours donné beaucoup d’importance aux petits objets. J’aime les petits objets. Les petites bougies qui me rappellent certaines soirées (ça sentait le chèvrefeuille et on parlait de ton ex, souviens-toi), les petits carnets qui contiennent des tas de souvenirs, les tasses qui résument tant de matin, les stylos, les tubes d’homéopathie, les photos polaroïd. Si bien que chez moi, sur ma table basse, traîne une décoration approximative : toutes ces petites choses se côtoient et je prends plaisir à les regarder. Elles représentent le quotidien.
Et au début de l’année, voilà que je me prends de passion pour les œufs à la coque (ça te semble sans transition, je te l’accorde). Une envie soudaine, un dimanche matin, de tailler des mouillettes. Je suis assise aux côtés de l’homme dans mon petit studio. Nous sommes en pleine négociation de qui descend à la boulangerie chercher le petit déjeuner (vas-y toi, non toi, si toi, non toi, la dernière fois c’était moi). Quelques minutes plus tard, l’homme remonte de la boulangerie et du supermarché (je gagne souvent) avec une baguette et des œufs. Sauf que mini drame : je n’ai pas de coquetiers. L’homme est futé, il saisit des tasses qu’il fourre au sopalin histoire de faire tenir les petites bêtes à déguster. La solution de recours se tient mais qu’est-ce que c’est moche de manger un œuf à la coque dans de l’essuie-tout aux motifs fermiers.
L’après-midi, alors que nous traînons dans les magasins, je n’ai qu’une idée en tête : acheter des coquetiers, des petits coquetiers, des mignons coquetiers, qui feront jolis sur ma table basse. Mieux : qui feront jolis sur notre table basse. Parce qu’à cette époque-là, en plus de bouffer des œufs, on cherche un appartement pour s’installer ensemble.
L’homme me suit donc dans tous les magasins de déco et de cuisine. Et c’est chez Zara Home que je trouve mon affaire. Je décide d’acheter six coquetiers (pour faire beau dans la cuisine, le salon, la salle-de-bain, la chambre, l’entrée, la bibliothèque). L’homme me freine. J’en prends finalement deux, que la vendeuse m’emballe délicatement.
Je les dépose dans un coin de mon appartement en me promettant une chose : je les déballerai dans le nouveau. Il est hors de question d’y toucher maintenant. Ce petit sac Zara Home représente notre premier achat de couple. La décision est prise : je le déposerai avant tout autre chose dans notre futur cocon.
Quelques mois plus tard, on signe et obtient nos clés. Je cours acheter un petit porte-clés, évidemment, plein de sens et prêt à encaisser mille souvenirs ici.
Le lendemain soir après le travail, l’homme et moi-même nous donnons rendez-vous dans l’appartement. Nous voici enfin locataires. J’ai dans mon sac à main le paquet Zara Home et mon CD préféré de Vincent Delerm. Je cherche le plus joli coin où déposer ces premières affaires. Emotion totale dans ma tête. Vie à deux, futurs brunchs, aller chez Ikea, déco à choisir, amour à la folie.
Je regarde l’homme, complètement retournée :
– Je les pose où, nos petits coquetiers ?
– T’as des mouchoirs ?
L’homme aussi avait quelque chose à déposer.
Et pendant qu’il était aux toilettes, je me disais : nous ne sommes définitivement pas de la même planète.
Tu ne me réponds plus. Je veux dire, plus du tout. Je ne comprends rien, je regarde mon téléphone, lui qui s’agitait tant sous tes nouvelles et se crève désormais.
Je ne comprends rien, je te le redis, parce que je ne comprends rien. Au début, on s’écrivait tout le temps. Je savais tout. La sauce de tes pâtes, l’heure de ta douche, tes trajets en voiture, les places de parking trouvées miraculeusement. Je savais tout, minute après minute, nos échanges étaient sans fin, même avant nos rendez-vous, surtout après. L’un en face de l’autre, nous étions aussi bavards que dans le virtuel. On se parlait de nos vies et surtout, de celle qu’on comptait mener ensemble. On avait toujours des choses à dire, des films à commenter, des projets à mettre sur pieds. On avait des mots par-dessus tout, des temps de paroles illimités. Tu me faisais des promesses, je les trouvais parfois prématurées, on ne décroche aucune Lune en deux semaines mais je m’en fichais. Tes promesses sonnaient juste, si juste que la Lune se rapprochait.
Et depuis vingt-quatre heures, plus rien. Tu ne réponds plus. Silence. Trois semaines qu’on se connaît, comment peux-tu te taire à l’aube d’une histoire dont on a tant parlé ? Je ne comprends pas, je ne comprends rien.
Alors j’essaie, pourtant, de te chercher des circonstances atténuantes. Tu ne captes pas chez tes parents. Tu as fait la fête, tu as trop bu, tu erres sur ton parquet, tu ignores l’heure qu’il est. Peut-être que tu bosses trop, prend de l’avance sur ton lundi. Peut-être que tu as perdu ton chargeur de portable, peut-être qu’un pote te l’a pris par mégarde. Peut-être qu’on t’a coupé les doigts. Attends, on t’a peut-être coupé les doigts. Tu vois, je fais des efforts, je ne t’en veux pas.
Peut-être que ton silence ne veut rien dire, j’essaie de ne pas m’inquiéter. Peut-être qu’il existe de silences positifs, après tout. Des silences doux comme l’oreiller qu’on partage au début d’une histoire, des silences si fluides qu’ils font partie d’un tout, d’un bavardage. Des silences acceptables, qui ne sont pas des trous, des doutes, des remises en questions. Voilà, peut-être qu’il existe des silences qui n’ont rien à cacher, alors qu’est-ce que je cherche à la fin ?
Je continue de me rassurer. Ton silence est peut-être normal. Tu m’écrivais beaucoup et maintenant tu fermes ta gueule. Cela arrive peut-être à des gens très bien. La bouche sèche, une envie de souffler pour mieux l’ouvrir à nouveau. Tu vois, je te défends, je ne te dispute pas. Tu trouves que cette lettre est méchante ? Que je t’accuse, te questionne à tort ? Mais non, regarde.
Regarde comme je suis calme, comme tout est tranquille autour de moi. Ce silence est apaisant, putain ce que ce silence est apaisant. J’adore le silence, tu vois. J’adore quand tu te tais et ne me donne pas de nouvelles. C’est génial de ne pas me répondre quand je te propose de se voir. Tu t’en fous, en fait, de me voir ce soir ? C’est ça, en fait, ton silence ? Tu t’en fous ?
C’est un silence de fuite, un silence de lâche. Un silence qui veut dire « je ne sais pas comment te dire ». Un silence un peu trop loquace, un silence qui cache le pire, car oui alors, les silences cachent forcément quelque chose ? Je ne suis pas tombée de la dernière pluie, je vois bien que ton silence n’a rien de commun, pas après tout ça, notre rencontre et l’élan qu’on prenait.
Je dois faire quoi, alors ? Attendre, encore ? Oui, voilà, je vais attendre. A force de tant de silences masculins qui le sont restés, j’entretiens l’espoir et me répète que depuis vingt-quatre heures, tu parles juste un peu moins fort. J’essaie de tomber de la dernière pluie pour croire encore un peu. Et je me remue debout dans mon appart, comme qui sort d’un nuage et débarque dans un monde un peu rose où chacun est candide.
Je me protège et ne veux plus regarder les silences en face. Tu sais, ils ont beau ne faire aucun bruit, les silences poignardent à chaque fois. Ils sont pernicieux. Des saloperies de silence qui rythment mes histoires d’amour et m’obligent à chaque fois à mettre un point final là où l’autre n’ose pas le prononcer. Alors ne m’en veux pas, ce soir, je suis encore un peu contre toi. Ton silence me câline, c’est mieux que le coup de couteau que je vais finir par me prendre.
Je vois vos mines déconfites sur vos derniers clichés Instagram. Vous commentez d’un hashtag qui signe la fin des vacances, du soleil, d’un hashtag qui signe la rentrée, le retour à Paris, le quotidien et la grisaille. Je vous retrouve en terrasse, vous dites « combien c’était super », une paille à la bouche qui vous rappelle la Grèce, le sud ou la Bretagne. Vos yeux observent les alentours, comme pour s’habituer à nouveau, avant de conclure que rien n’a changé. C’est parti pour une année de boulot. Peut-être une escapade à l’automne, la Normandie suffira. Peut-être la belle-famille à Noël et un projet de ski pour février.
J’aimerais prendre vos visages, dessiner vos sourires, vous dire combien c’est joli de rentrer. J’aime rentrer. J’aime fermer ma valise, elle qui sent un peu la crème la solaire, le sable et les souvenirs. J’aime que Paris soit inscrit sur les panneaux, à l’aéroport, dans les gares, je décortique ces cinq lettres qui me rappellent à quel point j’aime ma ville et j’en suis fière. Assise sur mes bagages, je rêve de cette destination comme d’une nouvelle. Paris est un mot qui me plaît.
Les matins de septembre ont une odeur particulière. Les matins de septembre réconcilient avec la vie, quand le soleil est bas, parfois plus timide. La rentrée sent le cahier neuf. La rentrée sent les bonnes résolutions, de celles qu’on n’a pas tenues en janvier. Septembre est un peu une seconde chance. Un agenda vide qui ne demande qu’à nous combler.
Rentrer chez soi, c’est retrouver l’odeur de sa lessive, ses petits rituels, le goût de son café, sa boulangerie et son internet qui déconne. Se promettre de tout faire un peu plus lentement, de garder avec soi ce qu’on ramène de nos vacances. On retrouve nos habitudes dans le noir, aller aux toilettes en pleine nuit sans être obligé d’allumer la lumière. Pourtant, on se surprendra à taper dans le mur derrière soi au réveil, réflexe de la chambre d’hôtel qui a été un peu de chez nous pendant trois semaines.
Rentrer, c’est fixer de nouveaux rendez-vous, entendre que les uns et les autres sont sur le retour. Alors on note nos prochains verres et très vite, on regagne notre rythme, on se raconte quelques anecdotes, on soupire en parlant du boulot mais au fond, on aime ça. Les visages qui nous rassurent, le matin à la machine à la café, les courses chez Monoprix, arriver toujours avant la fermeture, se demander quoi bouffer, trouver que le temps passe vite, lui qui s’était arrêté début août.
C’est vrai, pourquoi les choses ont-elles une fin ? Je n’aime pas les fins de livre, les fins de journée, les fins de vie, les fins d’histoire. Je n’aime pas les points, le temps qui passe. Je n’aime pas non plus les débuts, je n’aime pas monter les escaliers, je préfère les chaussures faites aux pieds, le confort du quotidien, l’oreiller bien formé, les chansons quand on les connaît presque par cœur. Rentrer, ce n’est pas une fin, non plus un début. C’est juste un début en mieux, c’est repartir, c’est retrouver, recommencer. C’est apprécier chaque morceau du puzzle, même ceux dont on ignore encore la place. Peut-être fallait-il partir pour comprendre que nous sommes bien là où nous sommes. Si partir fait tant de bien, c’est sûrement de revenir.
Et moi qui n’aime pas partir, je le fais juste pour ça : pour que septembre ait le goût intact que je lui connais et que je vous souhaite de connaître.
Bonnes rentrées.
J’ai toujours pensé que la meilleure façon de me prémunir du pire, c’était d’y penser. A partir du moment où tu as déroulé les pires scenarii, il ne peut rien t’arriver. Avec le temps, je suis devenue très forte à ce jeu : lister les catastrophes et n’en oublier aucune. Jusqu’ici – et je touche du bois – ça marche plutôt pas mal. Même ma sœur est admirative, elle m’a dit l’autre jour : si seulement j’avais eu peur que ma valise n’apparaisse pas sur le tapis roulant à l’aéroport.
J’ai également une autre théorie : si ma sœur a perdu sa valise à l’aéroport – ou en plein océan – il y a peu de chance pour que ça m’arrive aussi. C’est statistique, toi et ton entourage ne pouvez pas être victimes des mêmes merdes au même moment. Il est rare que dans un même groupe d’amis, plusieurs personnes se fassent piquer par une guêpe, opérer des dents sagesse ou cambrioler le même mois. Pour preuve, quand ça arrive on trouve ça tellement dingue qu’on répète cent fois : non mais c’est fou.
Ça marche aussi pour les choses positives : si tu viens de gagner au Loto, il y a peu de chances que tes potes gagnent aussi dans les semaines à venir. La vie, c’est un peu chacun son tour.
Maintenant que t’as tout compris – et que t’es soulagé que ta belle-mère vienne de se faire voler son téléphone, d’abord parce que tu ne l’aimes pas, ensuite parce que ça rejette le mauvais sort – je vais te raconter une histoire.
Nous étions dimanche. Notre pote M. nous racontait alors avoir commandé un canapé à La Redoute. Un convertible. Mais CATASTROPHE (bras qui s’écartent de mon corps pour partager avec toi un sentiment de surprise), il a reçu un canapé fixe. Après avoir retourné la bête dans tous les sens pensant qu’il était con, il a fini par conclure : ils se sont trompés, ce canapé ne se déplie pas. Un coup de fil plus loin, on lui a gentiment demandé d’attendre huit semaines avant un supposé échange.
Compatissants, l’homme et moi-même râlions avec lui. Puis, nous qui voulions également commander un canapé à La Redoute, on a pensé à voix haute, presque en guise de soutien : on ira chez Ikea.
Je sais que tu vois venir la chute à cent bornes mais arrête de croire que tu sais tout et laisse-moi te raconter la suite (parce que non en fait).
Les soldes étant avantageux sur La Redoute, nous avons finalement changé d’avis : ce sera La Redoute. Tu comprends bien que je me sentais en sécurité : je connaissais le pire et le pire était arrivé à M, nous avions toutes les bonnes raisons de valider notre commande.
Le grand jour est arrivé, avec deux livreurs à bout de souffle à qui j’ai proposé un verre d’eau. Enfin deux. A peine ont-ils fait demi-tour, j’ai déballé la bête, heureuse comme tout, certaine d’avoir le bon produit, gardant le pire dans un coin de ma tête jusqu’au dernier moment. Sauf que trois minutes plus tard, après m’être battue avec le scotch, j’ai cru que j’étais con, vraiment con. Puisque moi je ne pouvais pas être victime d’une erreur, où se trouvait le mécanisme de conversion ? J’ai compris rapidement que j’étais encore une fille vive mais une fille entubée.
J’ai donc tenté de rappeler le livreur dans la seconde. J’ai même envoyé un SMS. Silence. Donc, j’ai appelé La Redoute, et après dix minutes d’attente à écouter La maison des Poupées, j’ai fini par avoir quelqu’un de « navré » qui faisait partir rapidement le bon canapé. Trois jours plus tard, n’ayant toujours aucune nouvelle, je rappelle le SAV.
– Il arrivera début septembre, votre nouveau canapé, a dit la dame.
– Donc je vais passer plus d’un mois avec un colis ENORME dans mon salon en attendant l’échange ?
– Désolée. La taille du produit était mentionnée dans le descriptif du produit.
Oui, toi aussi lecteur, tu cherches LE RAPPORT.
Du coup, je lui réponds, me sentant vraiment prise pour une-imbécile-qui-n’avait-pas-eu-l’intelligence-de-regarder-la-taille-du-colis-au-cas-où-il-faille-vivre-avec-en-plein-milieu-de-son-appartement-je-suis-énervée-putain :
– Mais il n’était pas précisé que vous alliez vous TROMPER.
– Désolée.
J’ai presque cru entendre dans son « Désolée » un « Ah, faudrait peut-être songer à le préciser ». Puis, dans ma lancée :
– Comment puis-je être sûre de me faire livrer le bon produit cette fois ?
– On ne veut pas perdre de temps avec nos livreurs.
– Vous ne pensez pas l’avoir déjà perdu, le temps ?
– Désolée.
Elle a commencé à me faire de la peine avec ses « désolée ». Sachant bien que cette petite dame n’y était pour rien, j’ai hésité à lui raconter ma théorie du pire, l’histoire de M. et notre grande décision de passer l’éponge à la place de notre pote en tentant l’aventure. Comme pour lui dire : ma torture est pire que votre organisation, si vous voulez on dit que c’est ma faute.
Mais entubée comme je l’étais, et aussi droite que j’essayais de me tenir, je n’ai rien dit, rien excusé puis j’ai raccroché. Et je tiens à te dire, cher lecteur : avec La Redoute, tu peux toujours imaginer le pire pour t’en prémunir, sache qu’il arrivera.
Ce matin-là, j’étais assise dans cette salle d’attente. J’avais le numéro 106 et lui le numéro 107. Ou bien c’était l’inverse. Après ma prise de sang et après avoir pissé dans un bocal, je l’ai recroisé au café d’à côté. Il avalait un croissant, sans doute parce qu’il s’était fait piquer a-jeun, je prenais un café solitaire, sans doute parce que je n’ai jamais mangé le matin.
On a commencé par se sourire, on a un peu discuté et c’est comme ça que la relation est née, avec dans l’ordre une partie de jambe en l’air le lendemain soir pour un premier baiser quelques jours plus tard.
On s’appelait rarement, on se fixait quelques rendez-vous par mail, on se programmait des soirées, des verres, des expositions, on s’aimait un peu quand on se voyait, jamais quand on ne se voyait pas.
Notre histoire avait le mal de l’époque, ou peut-être le bien, celui de ne pas former un couple mais d’être un peu plus que des amis, celui de ne pas parler de « nous » mais d’oser le conjuguer maladroitement une fois tous les dix jours.
Il était juste quelqu’un que je voyais, quelqu’un à qui je racontais mes week-ends sans forcément dire ce que j’en avais pensé, quelqu’un qui connaissait mon boulot sans en connaître les horaires, quelqu’un qui venait chez moi sans y laisser de brosse à dents.
Nous avons passé des mois comme ça, à rire le samedi soir sans savoir à quoi ressemblait le dimanche de l’autre, à marcher dans la rue presque séparément, lui qui prenait souvent un mètre d’avance comme pour mieux chercher la prochaine rue à emprunter, quand moi je me contentais d’avoir un guide plutôt qu’un mec.
Il n’y avait rien d’inquiétant, mais j’avais peut-être l’envie, un jour, de découvrir un peu plus ses journées, le prénom de son frère à qui il devait acheter un cadeau qu’il n’irait pas choisir avec moi ou son groupe sanguin, information inutile qui racontait quand même notre première rencontre.
Je rêvais le soir, parfois, d’être présentée comme « sa nana » devant qui nous croiserait, j’imaginais des cartes duo à souscrire chez Gaumont et des clés d’appartement à s’échanger un jour pour faire un pas, un petit pas.
Finalement, je crois que ce que je préférais dans ce « plan cul régulier qui valait un peu plus », c’était qu’il soit régulier.
Entre chaque rêve, je me faisais prendre dans tous les sens, je racontais cette énième soirée avec mes amis sans lui faire un récapitulatif du nombre de verres ingurgités, du volant que j’avais pris en angoissant un peu et du fou rire que j’avais adoré quand mon meilleur ami m’avait fait danser comme un fou jusqu’à m’en tordre la cheville.
Il manquait simplement à notre histoire des détails, de ceux qui définissent un couple, comme d’aller faire les courses ensemble, dormir ensemble, partager une angoisse et un sandwich à la va-vite, partager un réveil plutôt qu’une douche en plein après-midi.
Dans ma vie, il n’y avait que lui. Dans sa vie, je suppose qu’il n’y avait que moi. On se respectait, lui et moi, un et un, debouts ou allongés. Mais pas suffisemment pour être deux.
Un soir, alors qu’on réglait l’addition séparément avant d’aller faire l’amour chez moi sans s’y endormir après, il m’a demandé si venir à son anniversaire la semaine suivante était un plan qui me convenait. J’ai dit oui, me voyant déjà n’offrir aucun cadeau et être présentée comme une amie d’enfance, une collègue ou une voisine.
Je n’ai rien acheté ni rien projeté, je suis venue avec une bouteille de vin, notre préférée pour le clin d’œil. Lorsque son meilleur ami dont j’ai vu le visage pour la première fois, m’a demandé mon prénom, mon job et d’où je connaissais Stéphane, j’ai répondu le plus simplement du monde en séchant sur la troisième question.
C’est à cet instant que Stéphane est arrivé derrière moi, a répondu que l’on s’était rencontré de façon plutôt originale, un matin non loin d’ici. J’ai souri, demandé du vin, son pote a tendu son verre. On a râlé parce qu’une nana sur la tablette mettait de la musique chiante.
C’est au moment où je faisais avec moi-même quelques paris quant au groupe sanguin de Stéphane que j’ai senti ses doigts courir le long de mon dos. Celui qui depuis un an me prenait contre un mur ou par surprise, par devant ou par derrière et sans se lasser, innovait. Ce soir-là, devant le public de ses trente ans, il m’a prise par la main. J’ai alors pensé qu’on était du même groupe, fait pour donner de soi, recevoir de l’autre et se mélanger, sans doute, pour les années à venir.
Il ne fait pas chaud. Sur le trottoir, j’allume une cigarette que j’agite en souriant à Clément. Assis à l’intérieur, il me regarde fumer. Je crois qu’il me trouve jolie.
Un taxi passe. Je pourrais bien monter dedans et pourtant. Ce soir, je n’ai pas envie de dormir seule. Ce soir, j’ai envie de rentrer avec lui, peut-être parce qu’il part vivre aux Etats-Unis demain. Peut-être parce qu’on se connait depuis hier.
Je colle mon front contre la vitre, je le cherche des yeux, j’aime beaucoup ses yeux. Je ne le vois plus à l’intérieur. Sa chaise est vide, la table encore pleine. Mon sac au sol. Je jette ma cigarette, mon cœur sursaute et mes pieds s’engagent.
Une main saisit mon avant-bras, une bouche se colle à la mienne. Ma tête se cogne à la vitre, mon chignon s’étale, ma respiration se bloque. Clément se serre contre moi ou me serre contre lui. Il me glisse à l’oreille que nous rentrons.
En direction de chez moi, nous ne discutons pas. Je monte les escaliers devant lui, j’ouvre la porte, il ouvre mes jambes.
Pas de dernier verre, pas de tour du propriétaire, il s’allonge sur moi et m’embrasse dans le cou. Mes mains hésitent, passent dans son dos ou cherchent sa nuque.
Il me soulève, s’agrafe à moi, dégrafe mon soutien-gorge et ma ceinture. Il retire mes chaussures et les balancent dans la pièce. Ma bouteille de parfum tombe au sol. Le bruit m’arrête, Clément continue.
Ses ongles se plantent en moi, ses dents prennent le relais. C’est quand il crache le nœud de ma petite culotte que je commence à perdre mon souffle.
Ma fenêtre donne plein sud, mon cul plein ciel, mon visage se prend la moquette à moins que ce soit la moquette qui se prenne mon visage.
C’est drôle, gamine je rêvais d’un prince charmant qui me fasse l’amour droit dans le regard. J’ai toujours voulu qu’on caresse mes cheveux. Qu’on me les tire pour me faire des enfants, pas la haine.
Je n’arrive pas à bouger. Mon corps couleur pêche vire couleur bleue. Je suis un hématome. J’ai mal à moi-même. Ses mains claquent, mes hanches se retournent. J’aimerais faire quelque chose. L’essentiel ne serait-il pas de participer.
Le temps ne passe plus. Clément m’attrape, je l’appréhende. Mon bureau, la gazinière, l’évier. Il me saisit contre la porte d’entrée, je la renomme porte de sortie dans le peu d’air que je trouve.
Il prend son pied, je prends des coups.
Est-ce que quelqu’un pourrait sonner, est-ce qu’on pourrait me sortir de là, est-ce que quelqu’un pourrait calmer son ardeur, sa violence, ses doigts crispés, est-ce qu’on pourrait apaiser mes blessures, les anciennes et les nouvelles.
Je n’avais jamais vu la folie dans les yeux de quelqu’un. Il lâche quelques mots. C’est beau de faire l’amour avec moi, c’est bon surtout, c’est agréable. C’est tout ce qu’il aime.
Je veux qu’il débande, je veux qu’il se casse, je veux dormir, enfiler trois pulls et m’enfermer pour un semblant d’éternité.
Ma tête s’endort tandis qu’elle est promenée. Je crois que ça fait deux heures qu’il me malmène.
Est-on en train de me violer et si oui, dois-je crier.
Il me frappe, le cul, le crâne. Il me demande d’aimer ça.
J’aimerais avoir le choix.
Je ne sais à quel moment il fatigue. Son rythme se freine, il mord un peu moins fort. Je glisse un oreiller sous son crâne dans le peu de survie qu’il me reste. Je lui gratte le dos pour endormir la bête qui sombre quelques minutes plus tard dans un sommeil à l’allure profonde.
Je l’observe, sans bouger, la peur de faire du bruit, la peur d’exister.
J’enfile sa chemise, pour un peu de réconfort. Je me demande pourquoi, pourquoi me blottir contre celui qui vient de me détruire. Je me passe les mains sur le visage. Elles sont noires de mon maquillage qui a coulé.
Maman, j’ai mal à ma tendresse.
Je m’endors dans un lit qui n’est plus tout à fait mien.
Le réveil qui sonne me surprend. C’est dommage, j’allais oublier, bien sûr que j’allais oublier tout ça. Encore une cinquantaine d’heures à dormir et peut-être que Clément aurait été loin, dans un avion ou de l’autre côté de l’Atlantique.
Il ouvre les yeux. Il me fixe, fixe sa chemise et me l’arrache. Il fait péter les boutons. Rien à foutre, son pouce attrape ma hanche. Il me retourne, écarte mes cuisses et reprend le boulot. Il est sept heures du matin.
Je ne dis rien, j’ai peur. Il rigole. Il comprend bien que mon corps est indisposé.
Alors il se lève, alors il enfile sa chemise qu’il ne peut manifestement pas boutonner, alors il me souhaite une bonne journée, alors il descend, alors je me penche à la fenêtre, brisée.
Et je le vois siffler le taxi que j’aurais dû alpaguer hier soir.
Ce qu’on disait de lui à la machine à café quand j’ai intégré la boîte, c’est qu’il avait essayé de coucher avec la fille du quatrième. Celle tout au fond. On disait aussi qu’il avait réussi mais qu’elle prenait désormais ses distances. Et que de toute façon, elle allait se casser d’ici.
Elles étaient trois, là, avec leurs gobelets, à le plaindre. Un dénommé Etienne. Je n’ai pas bien compris comment on pouvait à ce point avoir de la peine pour un type qui avait trempé son biscuit avec l’obligation de le retirer aussitôt.
Bref, sur l’instant, je m’en foutais pas mal. J’avais juste pour objectif de faire bonne impression. Et j’ai fait bonne impression très vite, auprès dudit Etienne assis en face de moi.
Un matin, il m’a proposé un café. On a bu notre jus, de la pisse dans cette boîte, et il m’a raconté l’histoire avec la fille du quatrième. Une vraie pétasse. Qui l’a malmené. Retourné. Pas rappelé. Elle était venue le chercher, pourtant mariée et maman, elle lui avait promis la lune et l’avait ravalée pour elle toute seule. Je l’observais, lancé dans son récit. Une jolie gueule. Pas une belle gueule mais une jolie gueule. Qui fait plaisir à regarder. C’est vrai qu’il avait l’air malheureux. Mais je ne savais pas quoi répondre. A ce moment-là, j’étais en couple depuis sept ans et les plans de drague foireux, ça me dépassait un peu. L’amour, ça sent l’évidence. Sinon ça sent la merde.
Mais petit à petit, je suis devenue sa confidente. Sa meilleure amie même. Sa plus belle blonde. On était tout le temps ensemble. Les gens m’appelaient même Etienne. Il me faisait du bien, avec ses compliments, sa tendresse. Il me donnait confiance en moi, faut dire. Toutes les filles voulaient manger avec lui le midi à la cantine, moi ça m’était égal. Mais il tenait à ce que je sois là. Pour le protéger de toutes ces mamelles, comme il disait. Trop de filles avaient chaud depuis qu’elles le savaient sentimental.
Le problème, c’est qu’un jour moi aussi j’ai eu chaud. Moi, Marie, droite dans mes pompes et bientôt fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.
Mais peu importe, j’ai essayé d’oublier. J’ai essayé d’oublier le frisson et le drôle de regard dans le couloir. J’ai essayé d’oublier ce truc dans mon ventre. J’ai pensé à mon mec, je me suis dit qu’on était un couple génial même si je le pensais un peu moins depuis quelques temps.
Mais j’ai essayé d’oublier, vraiment. Puis j’ai oublié.
J’ai oublié une semaine et j’ai chialé comme une merde en réalisant.
En réalisant quoi, je ne sais pas en fait. En réalisant que mon couple n’était pas si joli ou en réalisant qu’Etienne me remuait l’estomac. J’ai longtemps hésité et l’un dans l’autre, avant de faire le point sur ma relation existante, j’ai décidé de faire le point sur celle qui n’existait pas.
J’ai convoqué Etienne. Un café, à l’extérieur. Pas le premier. Il m’a regardé, longtemps. J’ai cru qu’il allait me prendre par les hanches. Dans l’ascenseur, j’ai senti son souffle pas très loin de mon cou. Et une tension sexuelle. Voilà, une tension sexuelle.
Peut-être parce que je m’apprêtais à lui parler de ça. Comme j’ai toujours l’impression que ça sent la pizza quand j’ai envie d’une pizza. Bref.
On a pris deux cafés. C’était après le déjeuner. On a allumé une cigarette pour deux et je lui ai demandé ce qu’il se passait entre nous. Silence. Tu ne nous trouves pas qu’il se passe quelque chose entre nous ? Tu me dragues, Etienne, non ?
Non. Il m’a dit que non. Que j’étais très belle, qu’il m’adorait, mais qu’il n’y avait pas de drague, que je ne l’attirais pas et qu’il était comme ça avec toutes les filles. Il a ajouté qu’en plus j’avais un mec, que c’était absurde de penser ça. J’ai parlé de mon ressenti, de ses regards, de la tension sexuelle qui régnait parfois. Il a continué à me balancer des non. En essayant de comprendre et en me rassurant. Il ne voulait pas me vexer. Il a ensuite souligné que je ne devais pas être bien dans ma relation pour en arriver là.
Je suis partie de ce café totalement abasourdie. Je n’étais peut-être qu’une cochonne en manque de sexe qui ressentait des tensions dans l’ascenseur. Dans l’ascenseur parce qu’elle n’avait pas assez d’imagination pour aller vers d’autres fantasmes.
Je me suis sentie un peu humiliée, honteuse d’avoir cru que quelque chose se passait avec Etienne. Honteuse aussi de découvrir que mon besoin premier était peut-être de fuir mon mec.
Alors j’ai quitté mon mec quelques jours plus tard. Moi, Marie, droite dans mes pompes et bientôt fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.
On n’accuse pas sept ans de relations en s’installant chez sa sœur progressivement. Mais ça allait. Plutôt bien. Avec Etienne, on riait toujours autant et on s’envoyait plein de messages. Parfois, je ressentais une tension sexuelle, encore. De la drague, des jeux de séduction, une envie de faire péter la cafétéria sous nos deux corps. Mais il ne se passait rien, il avait raison.
Un beau jour, il s’est mis à me faire la gueule. Oui, la gueule. Ses cafés sans moi, ses pauses cigarettes sans moi. Je me sentais con, plantée à mon bureau, sans partenaire de vie. Oui, de vie. Etienne était devenu mon quotidien, plus que mon quotidien. Il m’aidait à avancer sans trop le savoir. J’avais besoin de lui. Et souvent envie.
Je n’ai pas tenu longtemps. Un matin je l’ai attendu devant le boulot et je lui ai dit que j’avais la sensation qu’il s’éloignait. Que je ne comprenais pas. Il m’a regardée avec des grands yeux, l’air de dire n’importe quoi. Il m’a dit que non, encore ses non, il était toujours aussi présent mais que moi, j’étais un peu détachée. Que ça l’inquiétait d’ailleurs.
Je me suis excusée. Il m’a embrassée.
Je suis rentrée chez moi le soir mille papillons dans le ventre parce qu’il faut dire qu’il avait passé la journée à me pincer les fesses. Ma sœur était ravie pour moi, enfin à moitié. Elle ne comprenait pas que je passe si vite d’une histoire à l’autre. Quand j’ai essayé de comprendre, j’ai chialé, alors je lui ai demandé de fermer sa gueule.
Avec Etienne, on a continué de se chercher, de jouer, de mêler nos langues. Pas d’histoire sérieuse en vue. Il disait que c’était trop tôt. Mes fiançailles ratées et la fille du quatrième. Pas possible. On prenait notre temps, je finissais de transvaser mes meubles chez ma frangine et il continuait d’en baiser une autre, mais ça je l’ai su que trois semaines plus tard.
Je lui ai pardonné. Il a pleuré devant moi en s’excusant. Un égarement. Un besoin de sexe qu’il refusait d’assouvir avec moi parce qu’il me respectait trop. C’était tellement bien dit que je n’ai pas pensé à lui demander à quoi lui servait sa main droite le matin sous la douche. Je l’ai pris dans mes bras. Il a pris un anxiolytique.
Etienne est droitier.
Bref, c’était une soirée confessions. Encore plus forte que toutes celles qu’on avait connues. Il voyait un psy, il était un peu paumé avec les filles. Mais il était fou de moi et il pouvait le dire maintenant que j’étais seule.
On a fait l’amour dans sa voiture, c’était un vendredi soir. Il ne m’a pas répondu du week-end, j’ai cru qu’il était mort.
Sauf que les pervers narcissiques ne meurent jamais.
C’est ce week-end là que j’ai posé des mots sur qui il était. Deux mois plus tard, je n’en ai pas encore posé sur ma douleur. Etienne m’a fait courir pendant six mois, faite arrêtée pour maladie 3 semaines, il m’a fait culpabiliser, angoisser, attendre, espérer, revenir, regretter. Il m’a malmenée, retournée, pas rappelée.
Comme la fille du quatrième et comme des dizaines d’autres.
Moi, Marie, droite dans mes pompes et pas fiancée. Moi, Marie, que personne n’a jamais su déranger.
Je suis aujourd’hui dérangée. Un matelas chez ma sœur. Je viens de poser ma démission. Et j’attends que mon petit cœur se reconstruise. Je pense encore à lui, parce que pour l’instant, il a gagné.
Je n’ai aucune envie de revanche mais j’ai une envie de prévenir. De la prévenir. Cette fille avec qui il partagerait sa vie depuis deux ans. J’ai appris ça lors de nos derniers échanges. Il y a une fille. Qui s’endort tous les soirs sans se douter de quoique ce soit.
J’aimerais qu’elle sache, j’aimerais la sauver.
J’ai envie de m’excuser par avance, parce que j’oublie souvent que j’y suis pour rien.
Je vais me lancer. Je vais gâcher ses jours, ses nuits, je vais tuer son parquet comme le mien crève sous mes larmes, je vais tuer son histoire d’amour là où je pensais aussi en vivre une, je vais la faire hurler comme j’hurle encore.
Mais si elle veut, je la prendrai dans mes bras.