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Je m’agite, il est dix-huit heures, j’enfile une culotte et par-dessus un jean. J’ai les cheveux placés mais les doigts qui tremblent en vérifiant.
J’appelle Alix et lui donne rendez-vous au « café d’en bas » dans quinze minutes pétantes. J’ai besoin d’elle, de son avis de fille plutôt sage et surtout : de sa grande intuition.
Toutes les deux à l’heure, on se retrouve au « café d’en bas ». Elle me demande pourquoi cet appel précipité. Je n’ai pas le temps de me lancer qu’elle enchaîne : « Et tu ne serais pas un peu maquillée comme une pute ? ». Je dis non, elle dit montre.
Elle dit si.
Je sens qu’elle n’est pas dans un jour tendre alors je lui réponds d’un trait que j’ai rencontré un mec au boulot, qu’il me propose de sortir ce soir, au petit détail près qu’il est maqué. Mais que la bonne nouvelle, c’est qu’il va bientôt quitter sa copine.
Elle commande une bière.
Elle rigole.
Elle répète « bientôt quitter sa copine » et ajoute « N’y vas pas ».
Je commence à me défendre. Ou plutôt à défendre Thibaut. Je jure que c’est un mec bien, qu’il n’est vraiment plus amoureux de sa nana, qu’il a eu un vrai coup de cœur pour moi et toute autre réalités absolues qui sont autant d’arguments pour que j’accepte le rendez-vous.
Alix me demande comment je peux croire des conneries pareilles. Les mecs sont tous les mêmes, ils sont lâches, ils ne quittent jamais leurs copines et encore moins quand on accepte de patienter jambes écartées ou fesses en l’air.
T’es cuite, qu’elle me dit. T’es archi cuite si tu y vas ce soir. Tu l’auras jamais ce type.
Je soupire.
« T’es sûre ? ». Elle se marre en me disant que oui, trois fois oui, elle est sûre, elle n’a jamais été si sûre. Qu’il faut laisser Thibaut quitter sa nana, ranger sa vie, être clean. Ensuite, tu iras si tu veux, même si c’est dans trois mois. Un peu de dignité, merde.
Je n’arrive pas à faire le lien avec ma dignité, à croire que je n’en ai pas. Elle est peut-être maquillée comme une pute, elle aussi. Totalement méconnaissable.
Alix ajoute que c’est une question de « respect de soi-même ». J’ai envie de lui répondre qu’assouvir une envie de baiser, aussi.
Seulement, Alix sait bien que j’attends plus. Et moi je sais bien qu’elle n’a pas tort même si ça m’emmerde lui donner raison.
Elle roule une clope, me demande si j’ai compris, comme si j’étais une gamine qu’il fallait discipliner, comme si c’était mon genre d’aller me faire sauter à tout bout de champ.
« Non, ton genre ce n’est pas de te faire sauter, c’est de te faire avoir » reprend-elle.
Ce n’est pas faux, c’est pour ça que je l’aime Alix, c’est pour ça que je mets un billet sur la table et la remercie sincèrement.
Alix disparaît de mon champ de vision et je traverse la rue en me demandant pourquoi nous les filles, on a toujours besoin de l’avis de nos amies en sachant pertinemment qu’on n’en tiendra pas compte. C’est étrange, c’est comme Thibault que j’aperçois sur le trottoir d’en face et qui m’attend déjà. Je suis peut-être en retard, c’est bien la première fois.
C’est comme une réunion même si ça n’en porte pas le nom. On est quatre gentilles connasses autour d’une table, des paquets de cigarettes échoués, des briquets et une boîte d’allumettes, des bières et des dessous de verres en carton que Clotilde déchire du bout des doigts. Agacée, elle déclare que c’est le moment : bon, j’écris quoi à Cédric ?
On sait pourquoi on est là : écrire à Cédric.
Reconquérir, relancer, quitter, titiller, tester, entretenir. Antoine, Julien, Cédric, Théo, Adrien, Charles. Quel que soit le but et qui que soit le mec, les filles composent souvent à plusieurs ou ne composent pas.
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On distribuait les gobelets. Assis en tailleur et en ronde, nos cigarettes depuis le ciel formaient peut-être le plus joli lampion de toutes les bandes de copains.
Romain m’a servi à boire, il a ajouté : il faut que je te dise. Je n’ai pas bougé, je savais qu’il allait poursuivre. Ne laisser qu’une seconde entre le besoin de se confier et la confidence elle-même.
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Dimanche matin. Et ça sent déjà les œufs brouillés. Grégory s’active. Il prend les petites bêtes, les casse sur le bord de la poêle, et s’émeut à l’idée de bruncher. Je crois que c’est la seule chose qui lui fait du bien en ce moment.
Mon vagin, bof. Mes sourires, il s’en fiche. Le chat le fait rire, parfois. Mais le chat aussi a perdu de son aura.
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Elle et moi, on a les avantages de la coloc sans en avoir les inconvénients : on est amies et voisines. Séparées par un couloir minuscule qui nous donne presque l’impression de cohabiter, on peut se débarrasser l’une de l’autre quand on a envie de personne ou qu’on ne rentre pas seule. Quand on a besoin, on se fait un appartement géant, on ouvre nos deux portes et on invite des gens à boire. On est « les locataires du sixième étage », les bruyantes, les copines, on est la crémaillère dont l’immeuble se souviendra.
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Je l’ai rencontré il y a une dizaine d’années, je crois. J’étais en vacances dans le sud de la France. J’ai un souvenir vague d’un magasin de bijoux et de sa voix qui me surprend. Je retiens son nom, il ne retient pas le mien.
Evidemment, c’est souvent comme ça.
Je pense dès lors que je suis trop jeune, qu’il aurait fallu que je sois de 1973, que je m’appelle Alice ou Louise.
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J’arrivais tôt. Je le demandais serré. Elle me servait un café que je buvais en silence en observant la salle. Les tables étaient vides. Mais ce soir, nous les envahirons.
Je crois qu’au début, entre collègues, on y allait par flemme. C’était le bar en bas du boulot, c’était le temps d’une cigarette entre notre porte de sortie et les verres que l’on allait commander.
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On avait six ans et une grande table pour deux au fond de la classe.
On se faisait des petits baisers lorsque tous les dos étaient tournés. Du moins, c’est le souvenir que j’ai décidé d’en garder.
Je pense rarement à lui. Je ne l’ai jamais appelé mon amoureux d’enfance. Sans doute parce que l’on ne s’est croisé qu’un an, qu’on était gosse. Et sans doute aussi parce qu’il ne m’a laissé aucun chagrin. A six ans, le chagrin n’existe pas ou pour ce qu’il existe, il a raison.
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Quand je prenais la voiture, que je buvais un peu trop, quand je franchissais le dernier métro, les pieds tremblant sous l’alcool, ils m’écrivaient pour savoir si j’étais bien rentrée.
Ils m’ont toujours protégée.
Je les aime, pas du même amour, et d’un amour qu’on ne mélange pas.
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Je m’appelle Michel, de nom, pas de prénom. Je suis un drôle de passe-partout, je suis le commun, le tout le monde, la simplicité qui couche avec la banalité et qui accouche de la platitude. Si tu cherchais encore tes parents.
Ceci-dit, je l’ai longtemps bien vécu.
A part me demander si j’avais retrouvé mon chat, on m’a rarement emmerdée à l’école.
Si j’avais été plus vieille, j’aurais répondu qu’en couchant on obtient tout et que le père Lustucru déboîte pas mal.
Sinon, je m’appelle Caroline. De prénom, pas de nom. J’ai donc eu droit au Caroline à la montagne et Caroline à la ferme, mais la bonne nouvelle c’est que Martine a bouffé plus que moi.
J’étais plutôt contente à une époque d’être introuvable sur Google et de ne jamais avoir à épeler mon nom au téléphone.
Après, j’ai commencé à bosser pour des magazines et j’ai souvent entendu : « Vous êtes la journaliste de Capital ? » et « Vous êtes la journaliste de Cosmo ? ». Non, mais j’aimerais bien. J’ai compris qu’on était dix mille à peupler la planète presse et que je n’étais pas rendue pour me distinguer de par ma signature.
Un jour, j’ai décidé de signer Caroline Marie, j’ai réalisé un peu plus tard que je courais à ma perte. Je suis revenue à Michel.
Je me suis drôlement interrogée le jour où j’ai commencé à écrire un bouquin. M’imaginer signer comme tout le monde, ça me faisait un peu chier. T’as lu le dernier Caroline Michel ? Non, dix grognasses qui signent pareil, on commence à s’en battre les œufs, tu vois.
En plus de ça, j’ai toujours trouvé que les gens à la personnalité allumée avaient un nom à coucher dehors. Un nom original. Qui marque. Qui intrigue. Qui fascine même.
Les meufs s’appellent Lou, Cléa, Capucine et ont un nom avec une particule et au moins deux syllabes imprononçables.
Caroline De La Michel, de toute façon, ça fait grosse arnaque.
Alors un jour, j’ai lui ai dit – lui à qui je confie tracas et autres – avec de l’émotion plein mon identité : je n’ai pas un nom à réussir. Il n’a pas compris. Je lui ai expliqué que quand on s’appelait Caroline Michel, on avait vocation à travailler à la banque, avoir des horaires fixes, être mère de famille nombreuse et lire Guillaume Musso.
Il a ri. J’ai gueulé.
Il m’a dit que mon raisonnement était totalement merdique. Que ce n’était absolument pas fondé. Pour le coup, je trouve que c’est le raisonnement le plus fondé que puisse avoir une Caroline Michel.
Il a renchéri en me disant : des personnes aux noms hyper sobres ont réussi dans la vie !
Ah ouais, qui ?
Jacques Martin.
Michel Blanc.
Pierre Richard.
Bon bah depuis, ça va mieux.